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Notes de lecture 2022, Nouveautés

Note de lecture : « Urbex » (Nicolas Offenstadt)

Une véritable bible de l’exploration urbaine, historique et contemporaine, à la fois très accessible et subtilement exigeante, par un historien praticien n’hésitant pas à donner à la théorie et à la politique leurs places nécessaires.

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Urbex

La propriété de « Valentine » (Loir-et-Cher), où elle habite, comporte des bâtiments abandonnés qui font la joie de nombreux visiteurs clandestins. Pour elle, toutes ces pénétrations illégales des lieux sont une source « d’angoisse » selon La Nouvelle République qui rapporte son histoire. Ce « phénomène » d’exploration urbaine – urbex – a pris, selon la titraille, « une ampleur incontrôlable ».
C’est de cela que voudrait rendre compte ce livre, de ce « phénomène » qui attire un nombre croissant de nos contemporains, mais qui suscite aussi un ensemble d’interrogations – jusqu’à être « incontrôlable » ?

On savait depuis son bel essai de 2018, « Le pays disparu », consacré aux traces laissées par la RDA dans le tissu quotidien abandonné post-réunification (chroniqué par ma collègue et amie Marianne sur ce même blog, ici) que l’historien Nicolas Offenstadt, spécialiste des questions mémorielles, était un pratiquant convaincu de l’urbex. En nous proposant, chez Albin Michel en mars 2022, cet ouvrage sous-titré avec une légère emphase tongue-in-cheek « Le phénomène de l’exploration urbaine décrypté », il nous en propose, plutôt qu’un décryptage proprement dit, une passionnante visite guidée qui inclut aussi bien les différentes généalogies de cette pratique, avec leurs tentatives éventuelles de mise en théorie, les formes de naissance officielle ou officieuse, les différents types de communautés d’urbexeurs et leurs façons de procéder que (peut-être surtout, in fine) les inscriptions sociales et politiques de cette forme si particulière d’exploration.

La définition de l’urbex est assez simple, tout en demeurant ouverte. C’est, selon nous, une visite approfondie, et sans autorisation le plus souvent, d’un lieu marginal, délaissé ou abandonné. Elle se fait en général sans but lucratif, du moins en première instance, car l’exploitation commerciale de photos ou vidéos peut aussi en découler, on le verra. Même si certains ont proposé d’utiliser le terme de « rurex » (exploration rurale), voire « rurbex » pour des visites de cet ordre en dehors des villes, le terme est moins utilisé et l’on garde le plus souvent celui d' »urbex » pour tout type de situation géographique.

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Incluant même un ensemble non négligeable de conseils très pratiques et d’exemples pour faire de l’urbex de façon suffisamment « sûre » et néanmoins suffisamment « intéressante », l’ouvrage de Nicolas Offenstadt révèle toutefois sans doute tout son potentiel à la jonction du socio-politique et de l’urbain, lorsque l’urbex en tant que telle, et surtout comme il la conçoit, preuves et illustrations à l’appui, devient plus ou moins subrepticement une partie intégrante d’une prise de conscience individuelle et collective de la politique de la ville, créée par le surgissement de la perspective historique et de la mise en caducité de tant de lieux construits par l’homme. En évitant soigneusement de la confondre avec quelque nostalgie des ruines, l’historien nous offre ainsi une précieuse approche physique et esthétique, dans laquelle la part du jeu n’est pas interdite, d’une sensation intellectuelle nécessaire.

Le groupe LTV Squad de New York, que nous retrouverons, milite d’ailleurs pour l’abolition des poursuites pour les infractions considérées comme mineures dans la pratique de l’urbex. En ce sens, il faudra aussi comprendre dans quelle mesure l’urbex s’inscrit dans une appropriation, une appréhension critique de la ville et de l’espace urbain. Tout un ensemble de mouvements, souvent anticapitalistes, antiautoritaires, envisagent la place des lieux délaissés  dans la composition de « villes rebelles », de « villes radicales », pour un « droit à la ville » – prolongeant par là les analyses du philosophe marxiste Henri Lefebvre – et pour une citoyenneté urbaine.

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