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Notes de lecture 2022, Nouveautés

Note de lecture : « Réacteur 3 [Fukushima] » (Ludovic Bernhardt)

Par les yeux à pixels d’un robot nageur, une plongée poétique à haute intensité au cœur du réacteur déchu.

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La caméra
bouge vers la droite
pour se figer
instantanément
et revenir en arrière
en suivant sa trajectoire
géométrique
réticulaire
à fonction photodiodique.
Les photons convertibles
s’engouffrent
dans les analogies pixelisées
qui pour la première fois
retracent la charge motrice
d’un corps
directionnel
frontal.

Perturbations
et secousses
agitent le corps
décidé
à prendre une place avancée
dans le champ.

Montée sur un petit robot autonome chenillé, une caméra nous introduit dans un décor étrange, dans une brume scintillante et difficile à déchiffrer : c’est qu’il ne s’agit pas ici de n’importe quel robot, ni de n’importe quel lieu à investir et investiguer. Tepco, l’opérateur historique de la centrale nucléaire de Fukushima, ayant (presque) remplacé Tchernobyl depuis 2011 comme synonyme de catastrophe nucléaire, a introduit en 2017 « Little Sunfish » et ses 30 centimètres télécommandés au cœur du réacteur n°3 en déliquescence avancée pour en ramener les images potentielles du combustible fondu et des mélanges jusqu’alors connus uniquement en théorie (et encore) nés de ces conjonctions élémentaires censées ne jamais pouvoir se produire.

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Dans un changement de plan
fulminant dans la centrale brûlante, les
gaz épandent leur brouillard. La vidéo est
filmée un samedi ou un lundi. Unité 2. Unité
3. Menu principal. Matériel dangereux.
HzMat summary. RAD. RAE. LCD. On
informe : prévenir d’une explosion. Proche.
S’éloigner des fenêtres. aider à assurer une
protection contre le souffle, la chaleur et
le rayonnement des détonations. Rester à
l’intérieur pendant au moins 24 heures, sauf
indication contraire.

Avec cette capacité rare dont dispose l’artiste et écrivain Ludovic Bernhardt de pouvoir transcrire la signification enfouie des images, fixes ou mobiles, en mots et en poésie (dans son « Work Bitch » de 2019, il était déjà souterrainement question, par exemple, d’automatisations logistiques et de drones), ce « Réacteur 3 [Fukushima] », publié en janvier 2022 chez LansKine, nous introduit littéralement au cœur de l’impensable, cheminant tout doucement parmi les décombres toujours brûlants des rêves technologiques toujours imparfaits. La poésie bien particulière de l’auteur, qui dégage la puissance lumineuse instantanée d’une installation artistique bien davantage que celle d’un récit ou d’un roman, ne cherche pas à témoigner, à la manière du si poignant « La supplication » (1997) de Svetlana Alexiévitch ou du déroutant jusque dans ses creux et ses non-dits « Dans la zone interdite » (2011) de William T. Vollmann, ni à développer le vertigineux et tragi-comique sens de la farce du « La centrale en chaleur » (2011) de Genichiro Takahashi. Incursion robotisée dans la touffeur moite de cette zone hors d’atteinte des humains, brutale et visuelle, et pourtant si sensible, ce travail poétique à haute intensité traque mieux que bien des essais cette ruine de l’âme, à regarder ici dans les yeux, d’une certaine science sans conscience, essayant pourtant – avec une certaine noblesse paradoxale – de s’auto-remédier.

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Dans la centrale
des actinies de gaz se libèrent [mal] souffrant
de ne pas pouvoir s’exfiltrer sans feu ni
eau. Ventre trituré par des coups de lames.
L’écho d’une voix rebondit sur les cordes
vocales du Little Sunfish rudoyé par les
canaux souterrains, dégâts labyrinthiques
générés par les colonies de cobots foreurs.
Des êtres aquatiques difformes fouillent une
cornée cousue pour l’occasion en matériaux
ultra-résistants, car rien ne se voit plus.
Pour autant, on se met dans les creux sous
couverture physique. Respirer. Le noir Black
5C fume sous les filtres rouges [revêtus
d’une couche de fange digitale].

(…)

Et les Little Sunfish revenus
des limbes frétillent sous des greffes
cardiaques, pulsés par un orage intra-
terrestre, un décrochage de plaques
tectoniques. Apathiques, tels des tôles de
titane de 15 millimètres d’épaisseur, dans le
fond d’une cavité infectée.

Ce qu’en dit fort joliment Adrien Meignan dans le webzine Un dernier livre avant la fin du monde peut être lu ici.

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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