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Notes de lecture 2020, Nouveautés

Note de lecture : « Retour au pays maudit » – Mary Lester 56-57 (Jean Failler)

En suite immédiate de l’enquête précédente, Mary Lester revient sur l’ex-ZAD de Notre-Dame-des-Landes et s’échappe en région parisienne et à Port-Louis, pour traquer un riche et puissant particulièrement pourri.

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En homme soigneux, le commissaire divisionnaire Fabien avait accroché sa gabardine de coton beige au perroquet de bois verni placé derrière son bureau. Avec ce vêtement et son Fléchet de feutre taupé, il faisait très flic de cinéma des années 1950. À la boutonnière de son veston sombre impeccablement repassé, la rosette de la Légion d’honneur rutilait comme une marme de sang.
Le divisionnaire Fabien n’était pas élégant uniquement dans sa tenue ; il l’était aussi dans chacune de ses attitudes.
Galamment, il présenta une chaise à Mary, attention qu’il n’aurait pas eue pour le capitaine Fortin qui, en toutes saisons, arborait un jean délavé, des baskets et un tee-shirt blanc sous un blouson de cuir fauve passablement râpé. Les jours de grande froidure, il enfilait tout de même un pull ras le cou de laine bleu marine entre le blouson et le tee-shirt.
En lui-même, le commissaire déplorait ce laisser-aller tout en reconnaissant que cette tenue était plus appropriée pour désamorcer un début d’émeute dans un quartier sensible qu’un complet trois-pièces. Il n’en appréciait pas moins l’élégance de bon aloi dont faisait preuve le commandant Lester en toutes circonstances.
– Eh bien, cette expédition dans le bocage ?
– Heureusement terminée ; voyez, je suis à peu près intacte.
Le commissaire fronça les sourcils :
– Pourquoi dites-vous cela ?
C’était demandé sur un ton de reproche.
– Parce que chaque fois que je m’éloigne de ma base, ma chère Amandine s’attend au pire. Remarquez, elle n’a pas tout à fait tort ! Brest… Roscoff… Douarnenez… Saint-Malo… J’en passe et des meilleures, on ne dira pas que je rechigne à payer de ma personne.
Le commissaire Fabien en convint volontiers, non sans céder à la tentation de lui balancer une petite pique.
– Je vous l’accorde ! Cependant, mais je me répète, on dirait que vous avez le chic pour plonger dans des situations impossibles.

Quarante-sixième enquête de Mary Lester, et suite directe, cette fois, de « Au rendez-vous de la Marquise », « Retour au pays maudit » ne revient malgré son titre que fugitivement sur l’ancienne Z.A.D. de Notre-Dame-des-Landes, et tire en revanche toutes les conséquences du teaser qui clôturait l’épisode précédent, en s’attachant aux monstrueuses turpitudes – ô combien difficiles à prouver – d’un magnat de l’immobilier français particulièrement dégoûtant. En une fort rare incursion en région parisienne, depuis la base arrière de Quimper, c’est à Nanterre, Versailles, Palaiseau ou dans un parking souterrain de la place de la Concorde, ainsi néanmoins qu’à Port-Louis, que se jouent ici les tenants et aboutissants d’un drame commencé bien des années plus tôt, qui jouait déjà souterrainement un rôle décisif dans « C’est la faute du vent » (volume n°50 de la série – rappelons que certaines enquêtes, comme la présente, portent un numéro double, étant commercialisées en deux tomes).

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Citadelle de Port-Louis (Morbihan)

Le commissaire se redressa et plaqua ses mains à plat sur son sous-main :
– Vous ne lâchez donc jamais ?
– Pas quand le bon droit est de mon côté ! Pas quand il s’agit de rendre justice à une innocente qui a été abominablement torturée et assassinée !
– Vous avez sans doute des lumières à ce sujet ?
– Oui, patron. Au cours de mon séjour à Blain, j’ai rencontré des personnes qui ont connu et fréquenté cette jeune femme.
Le commissaire jeta avec mépris :
– Des zonardes, je suppose !
Elle secoua la tête :
– C’est un peu réducteur de les traiter de la sorte. Je dirais plutôt des pauvres humaines nées sous une mauvaise étoile et que la vie a broyées.
– Si je me souviens bien, ce n’était pas le cas de Cathy Vilard. Il me semble que son père était un éminent chirurgien…
– Il est mort quand elle était ado.
– Soit… C’est bien triste, mais ce sont des choses qui arrivent. Pour autant, elle n’était pas dans la misère, sa mère a fait un beau remariage. Avec cet Ascenscio justement…
– Beau pour qui, patron ? Il ne s’agit pas de misère matérielle, mais de détresse morale. Ce beau-père n’était pas si beau que ça. C’était un sale bonhomme, un pédophile…
– Oh, dit Fabien, comme vous y allez !
– Comment appelez-vous un individu qui a profité de sa situation dominante pour engrosser une adolescente qui aurait dû être sous sa protection ?

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Le niveau de ronchonnement conservateur de la narration (lorsque l’auteur Jean Failler se glisse derrière le personnage Mary Lester pour lui inspirer certaines réflexions) est dans l’honnête moyenne de la série, sans excès particuliers si l’on oublie la fixation quelque peu rocambolesque sur des « black blocs » largement fantasmés et la complaisance relative vis-à-vis de violences policières dont on jurerait ici – comme chez certains responsables ministériels – « qu’elles n’existent pas ». Ce nouveau roman, publié en mai 2020 aux éditions du Palémon, ronronne un peu dans ses rappels de faits connus et de personnages familiers (loi du genre en matière de séries au long cours, certes, mais qui me paraît un peu trop poussée dans ce volume-ci), même si la lectrice ou le lecteur se laisse encore et toujours charmer par l’héroïne en titre, par le capitaine Jean-Pierre Fortin, par le lieutenant Gertrude Le Quintrec, par l’informaticien du commissariat Albert Passepoil, par la voisine Amandine Trépon, voire par la juge Bernadette Laurier. On notera donc avec un intérêt tout particulier l’apparition d’un nouveau personnage fort prometteur, ce qui n’était pas arrivé depuis de nombreux épisodes, au sein du commissariat de Quimper : le lieutenant Jeanne de Longueville, authentique comtesse par ailleurs.

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(Photo éditions du Palémon)

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Un lecteur, un libraire, entre autres.

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