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Notes de lecture 2018, Nouveautés

Note de lecture : « Les oiseaux morts de l’Amérique » (Christian Garcin)

La quête mémorielle d’un vétéran du Vietnam marginalisé et extrêmement touchant.

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Hoyt Stapleton, vétéran du Vietnam et héros singulier des «Oiseaux morts de l’Amérique», vit avec Matthew McMulligan et Steven Myers dans un no man’s land en périphérie de Las Vegas, dans des canalisations d’évacuation et de collection des eaux, à seulement quelques encablures de la débauche de lumières et paillettes clignotantes du Strip, au cœur de cette ville si factice qu’elle a «la capacité singulière de nous laisser croire à notre propre irréalité», comme l’écrivait Bruce Bégout dans «Zéropolis» (éditions Allia, 2002).

Enrôlé parmi une unité spéciale au Vietnam qu’on appelait les «rats des tunnels», chargé d’explorer les galeries souterraines où s’abritaient les combattants viêt-côngs, l’expérience de Stapleton, et son impossible réinsertion dans une vie normale, rejoint celle de ces compagnons, anciens marines en Irak traumatisés à vie, héros déchus de l’Amérique semblables à ces oiseaux qui chutent, leurs ailes comme abîmées en plein vol.
À l’irréalité des néons de Las Vegas s’oppose celle d’Hoyt Stapleton et de ses compagnons d’infortune, en exil permanent dans la société civile, dans cet état résiduel de guerre que Tim O’Brien a évoqué de manière saisissante dans «À propos de courage» (1990, traduit en 2011 pour les éditions Gallmeister).

«Las Vegas, se disait-il, ou du moins cette partie-là du boulevard, pouvait tenir tout entière dans cet amalgame d’odeurs écœurantes et sucrées qui l’agrippaient aux narines et à la gorge dès qu’il passait devant les portes des gigantesques hôtels-casinos, répliques de New-York, Paris, Louxor ou Venise, avec tour Eiffel, canaux et palais des Doges, Sphinx et pyramide, et lui donnaient une furieuse envie de vomir. Une ou deux fois d’ailleurs il s’était éclipsé dans une rue perpendiculaire – étrange, avait-il noté au tout début, comme il suffisait de quelques mètres pour sortir du décor et atteindre une sorte d’arrière-monde obscur et neutre, gris, banal, alors que tout près le show lumineux et bruyant ne s’interrompait jamais – et avait rendu ses tripes.»

® Gilles Barbier, Le terrier

Personnage sensible attaché au silence, dessinateur et lecteur de littérature des poubelles, au sens noble du terme, dans cette société factice où livres et poésie ont été depuis longtemps jetés au rencart, Hoyt Stapleton s’évade en voyageant dans le futur en pensée, s’invente «des voyages privés, les plus précis possibles, vers de multiples futurs qu’il explore sans relâche», mais chacun de ses voyages est un extension amplifiée du désastre contemporain sous les signes de la marchandisation à outrance, de la catastrophe écologique et de la pollution devenue insupportable, des guerres technologiques incessantes, des violences urbaines et du renforcement des lois sécuritaires. À chaque «retour», il note dans ses carnets ses observations et les scènes vues, «bribes de dialogues et trames de récits de science-fiction ou d’anticipation qui, mises bout à bout, constituaient selon lui un aperçu tout à fait plausible de ce que deviendrait le monde dans un, dix ou cent siècles.»

«Simplement, se disait-il, parler reviendrait inévitablement à remettre sur le tapis toujours les mêmes horreurs, les mêmes rancœurs, à comparer leurs expériences, à aggraver amertume et dépit. À quoi bon. À cela il préférait les vertus du silence, ou de la parole rare. Aux sauterelles et aux mulots, il réservait quelques mots familiers, qui n’avaient d’autre but que de vérifier que le mécanisme locutoire fonctionnait toujours.»

Avançant dans l’existence, lassé du spectacle des catastrophes et des dévastations, il imagine de se retourner enfin vers le passé, au début des années 1950, pour retrouver, à petits pas, le gamin timide et maladroit qu’il fut, sa mère aimée et son père inconnu, pour revoir et ressentir l’existence quotidienne et les arrachements de son enfance.

«Le temps passait et, dans ses voyages vers le futur, il arpentait toujours les mêmes villes et paysages désolés, dévastés.
C’est normal, pensait-il alors. C’est normal parce que c’est l’image de ce que je porte en moi. Je suis vide. N’ai rien à l’intérieur. Je suis mort du dedans. Mon cerveau est un champ de ruines, une ville fantôme peuplée de débris. Une forêt percée de tunnels où règnent le silence et la mort.
Mais tout était en train de changer. A présent, il avait rebroussé chemin. A présent il y avait cette cuisine de 1950, où il lui semblait revivre un peu.
De plus en plus, pour lui, le futur disparaissait derrière l’horizon, tandis que le passé, lentement, prenait chair.»

Las Vegas et ses tunnels. ® Danny Mollohan

Sur fond de cet envers du Strip, «royaume du factice, du vide et du désespoir monnayé», sur fond des portraits poignants, sans misérabilisme, des vétérans et SDF, laissés pour compte aux marges de l’Amérique après l’avoir servie, le cœur des «Oiseaux morts de l’Amérique» se cristallise autour du retour de la mémoire de Hoyt Stapleton, au fil de ses incursions dans un passé vibrant de l’odeur fraîche de sa mère et de l’herbe coupée, du bonheur et des chagrins de son enfance. Retournant vers le printemps de sa vie, il explore le tissu troué et les spectres de son passé, et voit resurgir les souvenirs enfuis comme les vols des oiseaux jusqu’à celui, terrible et fondateur, où se nouent tous les fils du roman.

La lecture des poèmes de John Keats, de William Blake ou de T.S. Eliot semble faire écho aux émotions et voyages temporels de Hoyt Stapleton, héros mélancolique et lumineux de ce roman superbe paru en janvier 2018 chez Actes Sud.

Nous aurons le plaisir d’accueillir Christian Garcin vendredi 23 mars en soirée à la librairie Charybde (129 rue de Charenton, Paris 12ème), pour une rencontre-dédicace autour de cet ouvrage et de ses textes précédents.

À propos de Marianne

Une lectrice, une libraire, entre autres.

Discussion

8 réflexions sur “Note de lecture : « Les oiseaux morts de l’Amérique » (Christian Garcin)

  1. cela tombe bien. le livre est en commande, mon grain de sel viendra bientôt.
    en fait j’ai été attiré par ce livre en lisant « L’appel du Fleuve » de Robert Olen Butler, également une sombre histoire de vétéran, de fleuve, de sans abris, des Etats unis du Sud et de drame de famille.

    Il ya des livres que l’on lit et que l’on garde, d’autres que l’on oublie presque aussitôt, et d’autres aussi qui marquent, on ne sait pourquoi. Parce que c’est tombé au moment où il fallait, une espèce de résonnance, un « tuning » adéquat avec les idées de l’auteur. C’est le cas, pur moi, en tous cas, de « L’appel du Fleuve » de Robert Olen Butler, traduit par Jean Luc Piningre (2018, Actes Sud, 272 p.).
    Je ne connaissais pas cet auteur. Et pourtant, il en est à son 8 ou9eme ouvrage traduit en français. J’en ai commandé quelques uns, ils sont sur la pile et leur critique devrait suivre bientôt. Né à Granite City, (je devrais pourtant connaître) dans l’Illinois en 1945, parti deux ans au Vietnam en 1969 en tant qu’interprète. Retour et prix Pulitzer en 1993 pour ses nouvelles « Un doux Parfum d’exil » traduit par Isabelle Reinharez (1994, Rivages, 322 p.). Depuis, une vingtaine de romans et nouvelles, dont la moitié environ pour écrire sur le Vietnam, non pas en tant que nouvelliste de la guerre, qu’il n’a pas faite en tant que combattant, mais du pays, des gens et de ses coutumes et traditions. J’y reviendrai surement plus loin.
    Donc « L’appel du Fleuve », superbement traduit de « Perfume River », la rivière des parfums. Pourquoi ce titre ? C’est le nom de la rivière qui traverse Hué, et en automne, les fleurs des arbres fruitiers tombent dans la rivière et embaument la ville. Ville qui fut l’ancienne capitale impériale du Viet Nam, jusque en 1945. C’était l’empire d’Annam, avec les Nguyen, les seigneurs du Sud. Naturellement les français tout d’abord, lors de la colonisation, puis les nord vietnamiens, lors de l’offensive du Têt en 1968, ont pillé et massacré, avant que les américains ne bombardent d’ailleurs la cité interdite. La ville enfin est prise par l’armée populaire vietnamienne (APVN) en 1975. Pour cette partie, disons historique, je recommande le livre de Viet Thanh Nguyen « Le Sympathisant » (2017, Belfond, 504 p.) que j’ai d’ailleurs critiqué ici même en fin d’année passée, après les notes de Charybde2 https://charybde2.wordpress.com/2017/11/27/note-de-lecture-le-sympathisant-viet-thanh-nguyen/#comments

    Donc on en arrive au roman de Robert Olen Butler. Tout commence par un couple, Robert et Darla Quinlan, dans un restaurant de la New Leaf Co-op, fin janvier en Floride. La date n’est pas précisée, mais c’est actuel. Entre un sdf « L’homme porte des couches et des couches de vêtements, sans doute parce qu’il vit dehors et que le froid lui glace vite les os. Ou peut-être a-t-il besoin de toujours les conserver sur lui ». Très vite une certaine relation se crée entre Robert (Bob) et le sdf. Robert se présente à lui, pensant à un vétéran du Vietnam. « — Bob. / Le sdf semble hésiter, comme déconcerté par ce prénom. / — Bob, c’est mon nom. / L’homme prend la main de Robert dans la sienne et sourit de nouveau, en s’efforçant de cacher les dents qu’il n’a plus. / — Bob, dit-il à son tour ». Fin du chapitre, en fait il n’y a pas de chapitres, mais des morceaux de vie qui se suivent ou non. Et retour à la vie de couple, ou de famille de Robert et Darla. Elle militante pacifiste. Lui, universitaire tranquille, après son retour du Vietnam, où il s’est engagé devançant son sursis. Il faut dire que son père William Quinlan, « Senior » est un vétéran de la seconde guerre (WWII), et a servi sous le commandement du général Patton. Cela l’a beaucoup marqué, a priori bien après le débarquement, lorsque la 3eme armée entre en Allemagne, après septembre 1944. Général quatre étoiles, très apprécié de ses soldats, malheureusement mort en novembre 1945 à Heidelberg, après un accident de la route. Sous la pression paternelle, Robert s’engage donc, pensant être affecté dans un service loin des combats. « Il ne portera pas les armes. Il assistera le commandement militaire, une tâche qui comprend des recherches, semblables à celles qu’il a appris à aimer au cours de ses quatre années d’études à l’université Tulane. Où qu’on le poste, il sera bouclé dans un bunker de l’état-major ». C’est en « septembre 1967, quatre mois avant l’offensive du Têt, le Nouvel An vietnamien, le cataclysme militaire qui altérera profondément le cours de la guerre ». Son frère, Jimmy, deux ans plus jeune, lui fait le choix que beaucoup feront. « Un groupe d’insoumis de la Nouvelle Orléans vient de les confier, Linda et lui, à leurs homologues de Buffalo, et ils sont sur le point de partir définitivement au Canada ». Il passe clandestinement la frontière et déserte. Naturellement, il se brouille avec la famille. De Toronto, où il vit maintenant et a un commerce de cuirs, il ne donne plus de nouvelles pendant une quarantaine d’années. Il a adopté une vie, calquée sur les modèles communautaires de l’époque, et vit avec Linda, mais il y a aussi Becca, Paul et Heather. Il y a enfin Peggy, la mère et femme de Senior, bigote confite dans ses prières. Les petits enfants Kevin et Jake, qui mènent leurs vies indépendamment, interviendront à la fin, en annonçant leur engagement dans l’armée.
    On prend l’histoire de la famille en route, alors que Senior vient de tomber, se cassant une partie du bassin et est hospitalisé. Le livre devient alors une affaire de famille, entre ces trois couples. Se rajoute à tout cela, les obsessions de Robert. Obsessions de sa partie de vie au Vietnam, à Hué, où il a un premier amour, avec Lien. Une partie aussi plus sombre lors de l’offensive du Têt, où il doit affronter les réalités de la guerre. Réfugié entre les racines d’un banian, il tire sur une ombre et devient ainsi un assassin. Chose dont il a enfoui le souvenir en lui et n’a jamais parlé.

    La situation se complique encore lorsque Senior décède. « Un vilain caillot qui est remonté droit au cœur, depuis la jambe alors que les médecins les changeaient de position ». Peggy voudrait retrouver ses deux enfants pour les funérailles. Il y a toujours beaucoup d’animosité entre eux, d’autant qu’ils ne se sont ni vus, ni même parlés pendant une quarantaine d’années. Et toujours entre eux, une animosité encore plus forte avec Senior, qui, lui, n’a pas hésité à servir son pays.

    Pour corser le tout il y a Bob, le sdf du début. Qui passe de ci de là, dans l’histoire. Il aura son importance lors des funérailles de Senior. On apprendra aussi son histoire. Ou plutôt celle de son père, vétéran du Vietnam dont le retour ne s’est pas bien passé. Je ne sais pas pourquoi, cette figure de Bob m’a fait penser à celle du sans abri, qui pareil, hante les pages de « De la Nature des Dieux » de Antonio Lobo Antunes (2016, Christian Bourgois, 524 p.) traduit par Dominique Nedellec. Evidemment, il n’y a pas chez Robert Olen Butler la petite musique du grand Lobo Antunes qui revient, (sous forme de grande musique ?) avec ce titre emprunté à Cicéron (De Natura Deorum). Un sans-abri qui prend ses douches sur la plage, replie son duvet et change parfois de pull-over. Il a même trouvé abri dans une voiture abandonnée. Il traverse le livre, sans jamais intervenir. Qui est-il ? Un double de l’auteur ou une figure christique ? « Si ça se trouve, c’est un ange ». lI faudra que je retrouve mes fiches et parle un jour de Antonio Lobo Antunes.

    Retour donc au Vietnam, ou plutôt du Vietnam. Souvenirs cachés, enfouis qui remontent. Vieilles querelles de famille qui resurgissent. Manque de communication dirait-on de nos jours. Retour sur une vie, pour Robert, mais aussi par effet miroir qui se voit face à Jimmy, à Bob et Kevin, face aussi à son père. A-t-il fait le bon choix, ou celui qui était le plus simple, ou le moins compliqué, pour lui à l’époque. En face de toute cette problématique, celle de la guerre qui détruit les hommes, en faisant des assassins malgré eux. Scène miroir entre Senior dans une maison de Mainz et la position de Robert entre les racines du banian.

    Publié par jlv.livres | 21 février 2018, 07:48
  2. « Les oiseaux morts de l’Amérique » de Christian Garcin (2018, Actes Sud, 224 p.) est un bon titre dans la mesure où il ne sera question ni d’oiseaux, ni peut être d’Amérique, mais de la vie ( ?) de trois vétérans du Vietnam ou d’Irak devenus marginaux à Las Vegas.

    C’est ma période Vietnamienne ou apparentée telle. Commencée avec « Le Sympathisant » de Viet Thanh Nguyen déjà critiquée (en bien) https://charybde2.wordpress.com/2017/11/27/note-de-lecture-le-sympathisant-viet-thanh-nguyen/#comments . Depuis j’ai abordé des auteurs moins connus Linh Dinh, poète à ses heures et nouvelliste, puis Tran Vu dont « Disparue à Las Vegas » (2016, Mercure de France, 320 p.) raconte également des disparitions bizarres dans les souterrains de La Vegas. Mais surtout deux auteurs Nord-Vietnamiens Bảo Ninh avec un superbe « Le Chagrin de la Guerre » (2011, Philippe Picquier, 304 p.) et Duong Thu Huong, avec, entre autres « Les Paradis Aveugles » et « Roman sans Titre » regroupés dans « Œuvres » » (2008, Bouquins, 1056 p.). Il y a de quoi faire, mais cela viendra bientôt.

    On a donc affaire à Hoyt Stapleton, Matthew McMulligan et Steven Myers, vivotant dans le collecteur 7, à Las Vegas, à portée des périphériques et du « Strip » où ils font la manche au milieu des joueurs et de l’argent ruisselant. Mais de cela Hoyt n’en a rien à faire, lui, son truc c’est de voyager dans le temps. Il a lu pour cela. Des tas de bouquins d’astrophysique. Et son truc c’est de voyager dans le temps. Pas n’importe où. En 2222, il sait qu’il sera mis en face de la grande catastrophe écologique. Mieux vaut l’éviter. Mieux valent « les XXVIe, XXXIIIe ou XLe siècles» et sinon pourquoi ne pas retourner en 1950 dans la cuisine familiale et voir « le gamin qu’il était ».
    Mais ils n’en sont pas là. Matthew MacMulligan a passé trois ans en Irak. Il a participé à la traque du terroriste qui avait organisé la décapitation d’un otage américain et sa mise en scène filmée. Beaucoup de morts autour de lui, des américains et d’autres. Steve Myers revient aussi de deux ans passés en Irak. Il gardait des prisonniers et gérait le stock d’armes. Retour, désœuvrés, sans boulot, errance, et finalement Las Vegas et son « collecteur d’eaux pluviales no 7 ». Hoyt y est déjà, avec Dennis O’Reilly. « Il avait été étudiant en astrophysique et, avant de décrocher […], il s’était passionné pour les différentes théories cosmologiques, hésitant entre celle de la gravitation quantique à boucles et celle dite des cordes, trouvant la seconde plus élégante d’un strict point de vue mathématique ». il est en cela aidé par des doses massives « de benzédrine, de Secobarbital ou de Nembutal ». Bien entendu Hoyt ne comprend pas tout, mais se passionne. Il voyagera dans le temps. Et Dennis lui « expliquait notamment que, s’il était impossible de retourner dans le passé, le voyage vers le futur était quant à lui tout à fait envisageable, répertorié et même admis : il suffisait pour cela, disait-il, de se déplacer très vite. Un voyageur qui, ayant quitté la Terre, atteindrait une vitesse phénoménale, approchant celle de la lumière, expliquait-il, verrait un an passer pour lui tandis que sur Terre ce seraient dix, cent ou mille ans qui se seraient écoulés – tout dépendrait de la vitesse en question. Et, atterrissant sur la planète inconnue que serait devenue la Terre, ce voyageur pourrait alors partager la vie d’arrière-arrière-arrière-petits-enfants de son âge, bénéficier des bienfaits que le développement de la science aurait entre-temps permis, ou plus probablement se rendre compte que l’humanité avait tout entière disparu suite à la folie des hommes et aux conséquences de leurs politiques guerrières et environnementales ».
    Ces voyages « vers de multiples futurs qu’il explore sans relâche » et surtout les retours à la réalité « devant la bouche béante et noire du collecteur », tout cela ne fait pas avancer les choses. « Le temps passait et, dans ses voyages vers le futur, il arpentait toujours les mêmes villes et paysages désolés, dévastés ». et Hoyt s’en rend compte. « Mon cerveau est un champ de ruines, une ville fantôme peuplée de débris. Une forêt percée de tunnels où règnent le silence et la mort ». Reste le retour dans le passé « cette cuisine de 1950, où il lui semblait revivre un peu ». On l’a compris. C’en est fini du rêve américain. D’abord il y eut ces guerres. Et ce n’est pas pour rien que l’on retrouve aussi bien un vétéran du Vietnam, que d’Irak ou d’Afghanistan. Rien ne chance, les mêmes horreurs se succèdent. Pendant ce temps, et l’action ne se passe pas par hasard à Las Vegas, où m’argent coule à flot. Est-ce dans ce grand collecteur d’égout, ou du moins de façon métaphorique.
    On l’a compris, ce n’est pas un roman optimiste. Il laisse, pour une fois, la parole aux sans grade, aux pauvres laminés par la pauvreté et n’ayant eu d’autre choix que d’aller à la guerre. « La vraie réalité du monde c’est la guerre. La paix, c’est juste une période chiante qui permet de patienter ente deux guerres ».
    Evidemment cela change Hoyt de son passé au Vietnam. « Né de père inconnu, Hoyt Stapleton avait en 1966 accompagné les derniers jours de sa mère qu’un cancer foudroyant avait terrassée en moins de trois mois puis, désormais sans famille ni ressources, s’était engagé dans l’armée. Il avait vingt-deux ans. Il était parti au Viêtnam, où il avait été enrôlé parmi les “rats des tunnels” ». Affecté à l’un des bataillons d’infanterie qui accompagnaient la 101e division aéroportée, « dite « les Aigles Hurlants » ». « La plupart étaient des volontaires- des volontaires s’ils étaient blancs, et pour le reste des Noirs pauvres et pas éduqués ».
    Ces unités, d’ailleurs principalement constituées d’Australiens, Néo Zélandais et quelques Américains. Unités plus ou moins officielles, avec un blason et une légende « Non Gratus Anus Rodentum » (cela ne vaut pas le cul d’un rat). Armement très léger, à cause des conditions en sous sol : pistolet, poignard, lampe torche. En face même chose, plus des pièges naturels, soit en bambou aiguisé, soit sous forme d’animaux, araignées mortelles ou scorpions. Leur territoire, les galeries quelquefois s’étendant sur plusieurs kilomètres, commencées pendant la période coloniale française (Cu Chi, Vinh Moc) ou traversant la zone démilitarisée (DMZ) qui séparait ensuite le Sud et le Nord-Vietnam. Ces souterrains ont permis aux civils d’échapper en partie aux bombardements et font partie de nos jours des sites nationaux, mémoire de la résistance des populations. Les souterrains se visitent pour quelques euros. Il y a même des bus au départ de Hué ou de Saigon. Comme quoi tout se recycle et se vend.

    A propos de ces « Rats des Tunnels », on pourra lire « Les Egouts de Los Angeles » de Michael Connelly (1992, Seuil, 460 p.) traduit de « The Black Echo » qui fait directement référence à la peur de ces soldats lors de leur descente dans ces souterrains. L’inspecteur Harry Bosch, en fait « Hiéronymus Bosch…La seule chose que vous a donné votre mère, c’est le nom d’un peintre mort il y a cinq cent ans », lui-même ancien du Vietnam dans ces unités, et nouvellement affecté au commissariat de West Hollywood découvre le cadavre d’un de ses anciens compagnon d’arme, lui aussi affecté à ces unités. Bill Meadows a été assassiné près du barrage de Mullholand et son cadavre est maintenant dans le collecteur des égouts. Se superpose la pulpeuse Eleanor D. Wish, brillante agent du FBI, avec qi il va lui falloir collaborer et qui ne lui fait pas de cadeau « Votre mère était seule. Elle a du vous abandonner. Vous avez grandi dans des familles adoptives, des foyers de jeune. Vous avez survécu, vous avez survécu au Vietnam, et vous avez survécu à la police. Jusqu’à maintenant du moins. Mais vous êtes un franc tireur qui fait un travail d’équipe. Vous avez réussi à entrer dans la brigade des cambriolages et homicides et à vous occuper des grosses affaires, mais vous êtes toujours resté un franc-tireur ». Peuple des égouts tu es et tu resteras.

    On lira aussi « Le Vengeur » de Frederick Forsyth (2006, Albin Michel, 400 p.), où l’on retrouve Calvin Dexter, ancien « rat des tunnels », maintenant rangé des affaires et avocat qui va aider son ami Steve Edmond, ancien aviateur de la WWII, dont le petit fils, inscrit dans une ONG en Bosnie Herzégovine, a été assassiné, vraisemblablement par un chef de guerre Zoran Zilic, proche de Milosevic. On va aller ainsi des Balkans, au Surinam, puis à Saint Martin, dans les Antilles où se terre Zilic. Mais ce dernier est protégé par la CIA qui voudrait s’en servir pour approcher Oussama Ben Laden. C’est un peu tiré par les cheveux et caricatural par moments.

    Publié par jlv.livres | 2 mars 2018, 15:04

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