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Notes de lecture 2017

Note de lecture : « Un monde meilleur » – Les Brillants 2 (Marcus Sakey)

Un deuxième tome en leçon explosive de jeu d’échecs cruel.

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– Je ferai tout ce que vous voulez, j’ai un peu d’argent, vous aurez tout ce que…
– Du calme, d’accord ? Ecoutez bien. » La voix de l’homme était ferme, mais pas agressive. « Vous m’écoutez ? »
Kevin hocha frénétiquement la tête. Il y avait de l’essence partout, elle encombrait ses narines, brûlait ses yeux, glaçait ses mains et son visage.
« Je veux que vous sachiez que ça n’a rien à voir avec le fait que vous soyez normal. Et je suis sincèrement désolé d’avoir à faire ça de cette façon. Mais dans une guerre, il n’y a pas de spectateurs innocents. » Durant un instant, on aurait dit qu’il allait ajouter quelque chose, mais finalement il se releva.
La peur la plus pure que Kevin Temple ait jamais éprouvée le submergea des pieds à la tête. Il voulait pleurer, supplier, hurler, courir, mais il ne trouva aucun mot. Ses dents claquaient, ses mains étaient attachées, il avait les jambes en coton.
« Si cela peut vous réconforter, dites-vous que vous faites partie de quelque chose de beaucoup plus vaste. Une partie essentielle du plan. » Le soldat frotta une allumette, une fois, deux fois. La flamme grandit et flamboya. La lueur brillante se reflétait dans ses yeux. « C’est de cette façon que nous bâtissons un monde meilleur. »
Puis il jeta l’allumette.

Un an après « Les Brillants », Marcus Sakey poursuit en 2014 sa trilogie, avec ce « Un monde meilleur », traduit en français en 2016, toujours par Sébastien Raizer dans la Série Noire de Gallimard. Reprenant le fil de l’intrigue quelques mois après les événements dramatiques ayant marqué la fin du premier volume, le roman plonge d’emblée dans un degré supérieur de cruauté et de noirceur : comme le laissait de plus en plus supposer « Les Brillants », certains des joueurs d’échecs de cette partie diabolique entre mutants et « normaux » (comme ils voudraient en tout cas faire apparaître le jeu, quels qu’en soient les enjeux réels) sont prêts à tout, ou décidés à gagner quel qu’en soit le prix. C’est l’occasion pour Marcus Sakey de raffiner son « état américain profond », oscillant entre certains scénarios dignes de Tom Clancy à son sommet et certaines échappées songeuses sur ce sujet qui nous renvoient par exemple à « L’ange gardien » de Jérôme Leroy.

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« Veuillez m’excuser pour la façon quelque peu spectaculaire dont a démarré cette entrevue. Nous sommes tous un peu sur les nerfs, en ce moment. » Lionel Clay avait une voix de conférencier, profonde et pleine d’érudition, avec un léger accent de Caroline du Sud.
C’est une façon polie d’exprimer les choses. Tandis que les Brillants continuaient à exceller dans tous les domaines, de l’athlétisme à la zoologie, les gens normaux devenaient de plus en plus nerveux. Il n’était pas difficile d’imaginer un monde divisé en deux classes, comme l’un de ceux tirés de H. G. Wells, et personne ne désirait être un Morlock. D’un autre côté, les éléments brillants les plus radicaux ne se battaient pas pour une simple égalité : ils croyaient être supérieurs, et ils étaient prêts à tuer pour le prouver. L’Amérique s’était habituée au terrorisme, aux attentats-suicides dans les centres commerciaux, aux lettres piégées adressées à des sénateurs. La pire de toutes les attaques avait eu lieu le 12 mars : 1 143 personnes périrent quand les terroristes firent sauter la Bourse de Manhattan. Cooper était présent, il avait erré dans les rues grises et anéanties, hébété. Parfois, il rêvait encore de l’animal en peluche rose abandonné au milieu d’un carrefour de Broadway. Nous ne sommes pas « un peu » sur les nerfs. Nous sommes terrorisés jusqu’au trognon. Mais Cooper se contenta de répondre : « Je comprends, monsieur. »

Au-delà de ses caractéristiques de techno-thriller prenant « au sérieux » la thématique générale des X-Men (comme je l’indiquais à propos du premier tome) et de roman d’action très efficace (tirant plus que jamais néanmoins vers le scénario télévisé pré-découpé, incluant les toujours un peu agaçantes répétitions préfigurant déjà des « Previously in… » pour lectrices ou lecteurs en déficit d’attention), « Un monde meilleur » offre aussi une surprenante et fort réussie leçon composite de jeu d’échecs (mais aussi parfois un peu de stud poker), de planification stratégique, de contingency planning et de gestion de l’escalade politique et militaire – dans la version d’origine pensée bien avant la sublime parodie de George MacBeth dans « La guerre des pommes reinettes » (1966). In fine, un deuxième tome spectaculaire et passionnant, peut-être plus solide encore que le premier, mais en amplifiant également inexorablement les défauts initiaux d’écriture.

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Marcus-Sakey

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