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Notes de lecture 2016

Note de lecture : « Paysage avec palmiers » (Bernard Wallet)

Derrière l’ombre étroite des palmiers, toute l’horreur de la guerre.

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Paysage avec palmiers

«Le regard bien calé par les amphétamines et la bouche insensibilisée par le bourbon, j’ai vu, dans le port de Beyrouth, plusieurs cargos, ventre en l’air, dans une posture de vieux poissons obscènes. Dans les cales devenues inaccessibles, des milliers de cigares pourrissaient.»

Dans ce récit initialement publié en 1984 dans la revue L’infini, puis sous sa forme définitive en 1992 chez Gallimard, et réédité par les éditions Tristram en 2016, Bernard Wallet, représentant des éditions Gallimard au Liban à partir de 1976, témoigne de la destruction de Beyrouth et de la folie de la guerre, avec une  collection d’images et de scènes terribles.

Ses souvenirs, déflagrations visuelles, sonores, olfactives ou mentales, sont tous racontés au présent, pour donner à lire au plus près ce qui s’est passé là-bas, l’horrible et l’obscène, et tenter de détacher de sa rétine les images qui le hantent. Un des narrateurs du roman d’Oliver Rohe, «Un peuple en petit» (Gallimard, 2009), se fera l’écho de ces scènes insoutenables, fixées dans la mémoire en un perpétuel présent.

«Je ne suis pas encore reparti de Beyrouth. Parfois, je me réveille la nuit au milieu d’atroces combats et je dois allumer ma lampe pour bien vérifier que je suis à Paris, rue Saint-Maur.
J’écris pour quitter Beyrouth.
J’écris pour que Beyrouth me quitte.»

Jack-Dabaghian

© Jack Dabaghian

Bernard Wallet a sans doute adoré le Liban mais sa vie y a basculé en même temps que l’époque avec cette guerre-charnière, dans une ville de Beyrouth abandonnée au mal et à la destruction. Le texte est écrit par fragments comme il vient, sans ordre et sans logique, reflet de cette guerre sans repères où chacun peut être à tout instant témoin de l’insoutenable ou pris dans le viseur d’un tireur embusqué, où la folie meurtrière et l’innommable côtoient la jouissance et la fascination, ce que Mathias Énard, également hanté par les histoires libanaises et le conflit dans les Balkans, a admirablement raconté du point de vue d’un sniper dans «La perfection du tir» (Actes Sud, 2003).

«Dans Beyrouth, la peur de la mort ne me quitte jamais. Mais c’est une peur qui m’emporte plus qu’elle ne me paralyse. Et il m’arrive parfois d’aller au-devant d’elle de crainte qu’elle ne me surprenne. Dans le dos.»

Une phrase de Lydie Salvayre citée dans la préface souligne l’angoisse de l’auteur, né en 1946 dans les ruines des bombardements de la seconde Guerre mondiale, d’avoir pressenti dans la destruction de Beyrouth la préfiguration des guerres et du désastre à venir.

«Beyrouth me manque»
«Beyrouth est une tombe»
Ville défigurée, en cours de destruction, Beyrouth semble être une drogue dure, la tombe d’une vie d’avant, et écrire ce livre une nécessité pour témoigner, sans effet ni pathos, d’une nouvelle forme de guerre.

«J’aime les palmiers. Leur ombre étroite.»
En écho au titre de ce livre, cette phrase forme comme un point d’apaisement, illusoire et absurde, avant de se confronter à nouveau à l’infinie variété de la cruauté de cette guerre.

On peut lire ce qu’en disent superbement Christine Marcandier sur Diacritik, ici, et Estelle Ogier sur Zone Critique, .

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bernard wallet

À propos de Marianne

Une lectrice, une libraire, entre autres.

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