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Notes de lecture 2012

Note de lecture : « Ma dernière création est un piège à taupes – Mikhaïl Kalachnikov, sa vie, son œuvre » (Oliver Rohe)

Du mythe de l’ingénieur global au triomphe du marchand fragmenteur, avec l’AK 47 et son inventeur…

piège à taupes

Paru en mars 2012 aux éditions Inculte, ce court texte (80 pages) d’Oliver Rohe est l’adaptation de la pièce radiophonique « AK-47 » réalisée pour France Culture.

Deux fils, étroitement et brillamment enchevêtrés : d’une part, la vie de l’ingénieur mécanicien Mikhaïl Kalachnikov, inventeur, passionné, patriote fervent, conducteur de char, protégé de Joukov et de Voronov, général sur le tard après avoir été fils de déporté dékoulakisé et fugueur par deux fois (au moins), d’autre part, le destin de sa création la plus célèbre, l’AK-47, symbole du progrès mécanique technique, de la robustesse pensée, des luttes de libération, avant de devenir, dans un de ces tragiques ou ironiques retournements de l’histoire, celui des conflits incessants du capitalisme triomphant et parcellisant, celui des enfants-soldats ivres de drogue et de rage, celui d’une consommation quasiment ultime.

Si Oliver Rohe nous laisse un peu sur notre faim, c’est que l’on sent bien qu’il pouvait nous en dire beaucoup plus, tant ses réflexions sur l’imagination technicienne et les paradoxes du capitalisme marchand, ancrées dans les ordres de Lénine sur la poitrine du vieil inventeur et les nécessités du calibre 7,92, font virevolter nos neurones, entre nombreux sourires et yeux stupéfaits…

« (…) et tenteront alors, non sans difficulté, de s’adapter à leur tour aux temps nouveaux qui exigeaient ainsi, pour des raisons de configuration spatiale et temporelle des combats, de stratégie d’attaque et de défense, qu’on règle une bonne fois pour toutes ce terrible dilemme des munitions et qu’on adopte par conséquent un armement individuel inédit.
Maintenant nous tenions enfin le nouveau calibre. »

« À observer maintenant une carte répertoriant pour nous les usines de fabrication, les arsenaux et les centres de stockage, les zones de conflits et les routes officielles ou clandestines de la distribution des armes, de ces quelque cent millions de Kalachnikov certifiées ou contrefaites inondant le marché mondial, sans qu’aucune réglementation et qu’aucun contrôle sérieux ne vienne encadrer leur circulation, leur circulation libre et effrénée, à observer les trajets compliqués et les circonvolutions de ce flux incessant de Kalachnikov sur le marché, il devient encore plus aisé de comprendre que ce fusil d’assaut imaginé par un paysan russe bientôt centenaire n’épargne aucun continent et aucune région, que sa dissémination forme un réseau d’échanges de plus en plus dense et touffu, à l’image de n’importe quelle autre marchandise d’envergure planétaire, d’une boisson gazeuse, d’un téléphone mobile ou d’un produit immatériel. (…) Mais cette impression est évidemment fallacieuse, parce que la marchandise AK-47 ne travaille au contraire qu’à la fragmentation permanente des territoires, à leur fractionnement en portions, en parcelles toujours plus réduites sur le modèle de la guerre civile infinie (…) »

Et on n’hésitera donc pas, le cas échéant, à relire l’opuscule sur la route improbable du musée Kalachnikov d’Ijevsk, ou sur celle, un peu plus vraisemblable, de la salle du même nom du Musée d’Artillerie de Petersbourg.

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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