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Notes de lecture 2016

Note de lecture : « La catastrophe des mines de Courrières » (Collectif)

En 1906, survivre vingt jours à 300 m de fond dans une mine de charbon ravagée par les incendies et les gaz toxiques. Un ensemble hallucinant de témoignages.

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Publié en 2006 chez l’Œil d’Or, ce court volume, impeccablement réalisé comme toujours chez cet éditeur, regroupe les principaux témoignages et récits d’époque à propos de la catastrophe des mines de Courrières, la plus importante jamais intervenue en Europe, avec ses 1 099 morts « officiels ».

Vingt-et-un ans après la publication de « Germinal », quatre ans après le décès d’Émile Zola, un « coup de grisou » probablement doublé immédiatement d’un « coup de poussier » dévaste en quelques minutes, le 10 mars 1906, les conduits souterrains des puits n°2, n°3 et n°4 de l’une des plus importantes mines de charbon du Nord-Pas-de-Calais, répandant explosions, flammes et gaz toxiques parmi les milliers de mineurs opérant alors entre 300 et 400 m de fond. Sous la direction des propriétaires et de leurs ingénieurs, les tentatives de secours sont très rapidement abandonnées, et deux des trois puits condamnés pour étouffer les incendies éventuels et préserver le minerai. Lorsque vingt jours plus tard, treize survivants émergent d’un puits après avoir erré dans le noir, souffert de la faim et de la soif en évitant de leur mieux les divers pièges toxiques du sous-sol ravagé, l’émotion est intense dans tout le pays minier, puis dans toute la France. L’une des plus massives grèves de l’histoire ouvrière s’ensuit, opposant de la mi-mars au début mai 60 000 mineurs en colère à plus de 30 000 gendarmes et militaires appelés sur place en renfort, arrachant in fine au patronat le repos hebdomadaire jusqu’alors inconnu, et une amélioration drastique de la sécurité des installations à partir de l’année suivante.

Le Matin, lundi 2 avril 1906
Demain, nous commencerons la publication de l’odyssée tragique de Nény, Pruvost et de leurs compagnons, racontée par Nény et Pruvost eux-mêmes, les héros de l’incroyable péripétie du 30 mars, et écrite sous leur dictée.
Penché à leur chevet, notre collaborateur a recueilli goutte-à-goutte les phrases mêmes, avec leur couleur pittoresque et chaude, leurs incorrections parfois conservées, quand elles font image, à lui dictées par les « rocheurs » à jamais célèbres.
Nulle interposition de littérature entre la flamme du récit et son report sur le papier. C’est la sincérité elle-même des êtres frustes, inconscients de leur propre héroïsme, jetant avec gaieté, de prime-saut, en va-de-l’avant, à des oreilles attentives servies par une plume agile, les épisodes de ce martyre de vingt jours, dans l’ombre tueuse, dans la faim, dans l’hallucination, dans les entrailles incendiées du globe, à mille pieds du sol des vivants…

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« La catastrophe des mines de Courrières » n’est pas seulement un témoignage exceptionnel par lequel la lectrice ou le lecteur apprendrait à manier à bon escient accrochages, berlines, beurtiats et bowettes, découvrirait que le briquet n’a ici rien à voir avec la flamme mais tout avec le casse-croûte, prendrait conscience de la monstrueuse dureté des conditions de travail, il y a encore à peine un siècle, et de l’avidité technicienne des « investisseurs » – toujours et partout rappelée, de nos jours, comme « chose du passé ». L’ouvrage est aussi le théâtre, un siècle avant BFM TV et i-télé, d’une affolante leçon de journalisme comparatif, entre le « montage » initial des témoignages de Nény et de Pruvost, deux des survivants, plus instruits et plus « médiatiques » que leurs compagnons, leur transformation en mélange de vedettes américaines et de monstres de foire par le journal « Le Matin » habillant leurs récits puis les exhibant en chair et en os dans toute la France, avant le « contre-récit » produit collectivement, plus tardivement et à grand-peine, avec l’aide de rédacteurs bénévoles, par les autres rescapés, rétablissant la vérité sur ce qui s’est réellement passé, durant ces vingt jours au fond de la mine détruite. Et c’est dans ce double mouvement de documentaire et de déconstruction de storytelling bien avant la lettre que cet assemblage de témoignages parvient à constituer une lecture essentielle, et terriblement actuelle contre toutes apparences.

Et un grand merci à Gilles Marchand pour m’avoir fait découvrir ce texte lors de son dernier passage en tant que libraire d’un soir à la librairie Charybde, en mai 2015.

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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