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Notes de lecture 2012

Note de lecture : « Super triste histoire d’amour » (Gary Shteyngart)

Quand Shteyngart entre en anticipation, avec sa verve et sa ruse, ça décoiffe, et c’est bon.

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super triste

Troisième roman de ce digne représentant d’une certaine forme de la diaspora russe moderne, même s’il écrit en anglais, publié en 2010 (en ce début 2012 en France chez l’Olivier dans une traduction de Stéphane Roques), après « Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes filles russes » (2002) et « Absurdistan » (2006), « Super triste histoire d’amour » est aussi le premier roman d’anticipation de Gary Shteyngart, puisqu’on se place dans un futur où les États-Unis au bord de la ruine sont à la merci de leurs créanciers chinois et indiens, et évoluent au bord de la dictature militaire nationaliste, tandis que les habitants du monde entier, à part ceux des pays les plus reculés, sont classés en permanence de manière transparente via réseaux sociaux et données privées obligatoirement publiques, en fonction de leur indice de crédit, qui dépend de leur fortune, de leur revenu et bien entendu de leur santé, qui inclut leur santé psychique, au service d’une consommation la plus effrénée possible.

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Le héros principal, bientôt la quarantaine, modérément soucieux de sa santé et de son apparence, docile mais enclin à lire de vrais livres en papier (et in extenso plutôt qu’en résumé pré-digéré) fait figure d’original un peu retardé, un rien dinosaurien, en route vraisemblablement pour le déclassement social. Il va néanmoins tomber amoureux d’une jeune Américano-Coréenne plus jeune que lui de 15 ans, et vivre alors une tragi-comique aventure inattendue, teintée en effet de tristesse comme l’indique le titre, mais aussi in fine d’une sorte de sérénité, décapante à rebours.

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Une écriture très maligne soutient le propos, entre extraits du journal papier du héros (que son entreprise de services d’immortalité l’encourage à tenir pour maîtriser sa santé psychique), et mails et échanges sur les réseaux sociaux de la jeune ex-Coréenne.

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« Ma calvitie aux formes de l’Ohio a eu la chair de poule au contact de l’appui-tête. Qu’avais-je fait de mal ? Aurais-je mieux fait de me taire quand la loutre m’avait demandé le nom de Fabrizia ? Aurais-je mieux fait de lui dire : « Je refuse de répondre à cette question », comme d’après-elle j’en avais le droit ? Avais-je cédé trop facilement ? Était-il encore temps de chercher les coordonnées de Nettie Fine dans mon apparat, pour les présenter aux gardes nationaux ? Allaient-ils me traîner hors de l’avion moi aussi ? Mes parents étaient nés dans ce qui était encore l’Union soviétique, et ma grand-mère avait survécu aux dernières années de Staline, encore qu’il s’en fallût de peu, mais moi je n’ai pas l’instinct génétique qui permet de braver l’autoritarisme le plus débridé. Devant une force plus grande, je me décompose. »

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Même si les occasions de sourire et de rire franchement sont présentes, comme Shteyngart nous y a habitués, le ton du livre est globalement plus sérieux, moins farceur, que ses précédents, en célébrant son entrée, avouée ou non, dans l’authentique science-fiction politique de qualité.

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Gary Shteyngart

À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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