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Notes de lecture 2013

Note de lecture : « Mémoires de porc-épic » (Alain Mabanckou)

Explorant avec bonheur la noirceur des contes de la brousse, un porc-épic au service d’un sorcier.

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Publié en 2006, couronné par le prix Renaudot, le sixième roman d’Alain Mabanckou se présentait malicieusement, dans un drôlatique prière d’insérer final, comme un « complément » du précédent, « Verre cassé », deuxième manuscrit communiqué à l’éditeur par L’escargot entêté, mythique patron du bar négropontain « Le crédit a voyagé », exécuteur testamentaire du défunt poète ivrogne Verre cassé.

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Entièrement raconté, dans une longue phrase ponctuée uniquement de virgules, adressée sans reprendre son souffle à un baobab obstinément muet, par un porc-épic, ce roman est un flamboyant hommage au conte congolais, à l’imaginaire de la sorcellerie de la brousse, désertant les territoires urbains jusqu’alors chers à l’auteur pour ceux du mythe, des animaux « doubles nuisibles » affectés dès leur naissance à un petit d’homme destiné à la magie noire, aux querelles de sang, de lignée, de terrain ou de prestige qui dégénèrent alors en crimes, le sorcier « mangeant » ses adversaires avec l’aide de son tueur animal familier. Un rythme étonnant et curieusement enchanteur pour dire la noirceur de l’âme, fût-ce dans l’univers du conte traditionnel africain, et pour apprendre entre autres les mille moyens utilisés par un sorcier pour s’affranchir des lois humaines, et même de certains féticheurs bénéfiques, véritables enquêteurs du surnaturel aux pouvoirs parapsychiques surdéveloppés, qu’une simple noix de cola judicieusement placée peut toutefois suffire à berner…

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Roman atypique chez Mabanckou, pourrait-on croire, il explore pourtant avec tendresse une autre facette de l’espace des mythes et des clichés – comme toujours discrètement subvertis – entourant son « petit Congo » natal.

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« je n’ai pas demandé à survivre, comme d’ailleurs je ne demanderai pas à mourir, je me contente de respirer, de voir ce que je pourrais faire d’utile dans le futur, j’ai pour cela deux pistes que j’aimerais suivre, d’abord je voudrais mener une bataille sans merci contre les doubles nuisibles de cette contrée, je sais que c’est un grand combat, mais je voudrais les traquer les uns après les autres, une manière de me racheter, d’effacer ma part de responsabilité quant aux malheurs qui ont endeuillé ce village et beaucoup d’autres, la deuxième piste à laquelle je songe est simple, mon cher Baobab, je voudrais retourner vivre dans notre ancien territoire parce que la fréquentation des hommes a créé en moi le sentiment de la nostalgie, un sentiment que je qualifierais de mal du territoire, eux parleraient de mal du pays, je tiens désormais à mes souvenirs comme l’éléphant tient à ses défenses, ce sont ces images lointaines, ces ombres disparues, ces bruits éloignés qui m’empêchent de commettre l’irréparable, oui, l’irréparable, j’y pense aussi, me donner la mort, mais c’est la pire des lâchetés, de même que les êtres humains estiment que leur existence vient d’un être suprême, j’ai fini par le croire à mon tour depuis vendredi dernier, et si j’existe encore, nom d’un porc-épic, c’est parce qu’une volonté au-dessus de moi l’a décidé, or s’il en a été décidé ainsi, c’est que je dois forcément avoir une dernière minute à remplir ici-bas ».

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L’excellente session de l’Université Populaire de Littérature Africaine, consacrée au mysticisme en littérature, et usant de « Mémoires d’un porc-épic » comme l’un des six textes de support, est ici. La photographie d’Alain Mabanckou ci-dessous est de Ulf Andersen / SIPA.

Pour acheter le livre chez Charybde, c’est ici.

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PARIS : Alain Mabanckou

À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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