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Notes de lecture 2012

Note de lecture : « Verre cassé » (Alain Mabanckou)

Inventer une nouvelle écriture, vivace et inventive, pour raconter les aventures d’une troupe d’éclopés d’un bar de Brazzaville.

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Ancien instituteur alcoolique surnommé Verre cassé, le narrateur du cinquième roman d’Alain Mabanckou, publié en 2005 aux éditions du Seuil, passe tout son temps au «Crédit qui a voyagé», un bar crasseux de Brazzaville. Le patron de ce bar, son ami l’Escargot entêté, le convainc d’écrire l’histoire de son établissement, sur un cahier qu’il lui offre parce que «les gens de ce pays n’ont pas le sens de la conservation de la mémoire». Celui-ci veut que cette histoire soit écrite «parce que c’est ce qui reste, la parole c’est de la fumée noire, du pipi de chat sauvage».

Entre deux bouteilles de vin rouge, Verre cassé couche donc sur les «premiers feuillets», première partie du livre, l’histoire de la polémique ayant entouré l’ouverture du bar (occasion de portraits très savoureux du président et d’un de ses ministres, enflés de leur propre importance et recherchant la citation qui les fera passer à la postérité), et le récit des vies elles-aussi cassées des piliers de ce bar. « derniers feuillets » est une confidence du narrateur sur sa propre vie, le ratage de son mariage avec sa femme, dite Diabolique, et la disparition de sa mère.

«Verre cassé» est un long monologue en style parlé, sans majuscules ni points ; un récit très drôle qui a la forme et la verve d’une histoire contée, truffée de formules truculentes, d’ironie envers les intellectuels faussement modestes, et bourré dans la deuxième partie de citations et références aux œuvres littéraires, sous la plume d’un narrateur, écrivain débutant, qui lui ne se prend jamais très au sérieux.

Adapation théâtrale de Gerty Dambury (2008)

«je fréquentais toujours mon arbre sous lequel je pissais en lui racontant ma légende de l’errance, et l’arbre pleurait en m’écoutant parce que, quoi qu’on dise, les arbres aussi versent des larmes, et il m’arrivait maintenant d’insulter Diabolique devant cet arbre, d’insulter aussi sa mère qui a un œil plus petit que l’autre, d’insulter aussi son père qui a un pied bot et une hernie entre les jambes, et dans ces moments difficiles seul cet arbre me comprenait, il remuait alors ses branches en signe d’acquiescement et me disait tout bas que j’étais un pauvre type gentil, que c’était la société qui ne me comprenait pas, et alors, entre cet arbre et moi s’établissaient de longs causers comme dirait un Nègre à son amiral à qui il apporte de l’eau de café, je promettais à mon ami feuillu de me réincarner en arbre quand Dieu me rappellerait»

Tournant dans l’écriture et livre fondateur dans l’œuvre d’Alain Mabanckou, «Verre cassé» est le récit cabossé et profondément attachant de l’avènement d’un écrivain, un roman qui célèbre l’écrit en même temps qu’une culture populaire orale et vivante, un grand plaisir de lecture à prolonger par «Mémoires de porc-épic».

Alain Mabanckou était l’invité de la librairie Charybde en juin 2013 dans le cadre des Palabres autour des Arts pour la parution de «Lumières de Pointe-Noire» et vous pouvez réécouter cette rencontre ici.

À propos de Marianne

Une lectrice, une libraire, entre autres.

Discussion

2 réflexions sur “Note de lecture : « Verre cassé » (Alain Mabanckou)

  1. On m’a dit beaucoup du bien de ce livre.

    Je pense que je vais finalement céder.

    Merci pour cette belle chronique. 😉

    Publié par lecactussahelien | 14 avril 2017, 12:28
  2. Histoire très intéressante,

    Publié par Nduwayezu Jean bosco | 3 septembre 2019, 15:34

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