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Notes de lecture 2014

Note de lecture : « Monde sans oiseaux » (Karin Serres)

Une magnifique fable post-apocalyptique et poétique.

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monde sans oiseaux

Publié en août 2013 dans la collection La Forêt chez Stock, le premier roman de Karin Serres, auteure prolifique de pièces de théâtre, est une bien jolie surprise littéraire. Les incursions de non-spécialistes dans les codages de la science-fiction sont souvent décevantes, et sur le post-apocalyptique agraire, tout particulièrement, plane l’ombre immense de Kate Wilhelm et de son si beau « Hier les oiseaux », prix Hugo 1977. Grâce à un choix de point de vue extrêmement astucieux et à un langage d’une rare poésie faussement naïve, probablement nourrie de son écriture pour le théâtre mais aussi pour les enfants, Karin Serres échappe totalement à cet écueil, et nous donne un texte enchanteur.

Au bord d’un lac dont les eaux montent inexorablement avec le réchauffement climatique vit – ou plutôt survit – une petite communauté de pêcheurs et d’agriculteurs. La pêche rendue plus difficile, les morts toujours plus nombreux dont on immerge les cercueils, en un sauvage protocole, au cœur de l’eau nourricière, l’élevage salvateur grâce aux manipulations génétiques de plus en plus perfectionnées effectuées sur les cochons traditionnels : la narratrice naît dans ce décor rural et frugal, du pasteur de la petite communauté, y connaîtra l’amour et les accidents de la vie, devra s’exiler, la crise gagnant du terrain, pour dénicher un travail à la grande cité située de l’autre côté du lac. Une narration subtilement décalée par le regard si simple et si direct posé sur les choses, les horreurs et le lent effritement de la réalité, par cette « Petite boîte d’os », au cœur d’or et à l’esprit peut-être légèrement endormi, dont le retour peut-être inexorable des humains à leurs pulsions les plus animales – appelant un instant les craintes qu’une autre montée des eaux, dans le roman « Délivrance » de James Dickey puis dans le film de John Boorman, dut recouvrir – ne parvient pas à entamer le petit bonhomme de chemin émerveillé d’une vie à l’heure où le crépuscule s’installe pour durer.

Proche du conte et de de la fable dans sa tonalité, résolument poétique dans son phrasé, un magnifique roman dont les 100 pages en disent beaucoup plus, et beaucoup plus fortement, que bien des longueurs post-apocalyptiques parfois trop largement frelatées.

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« Il paraît qu’autrefois certains animaux traversaient le ciel grâce à leurs ailes, de fins bras couverts de plumes qui battaient comme des éventails. Ils glissaient dans l’air, à plat ventre, sans tomber, et leurs cris étaient très variés. Ils étaient ovipares, comme les poissons ou les lézards, et les humains mangeaient leurs œufs. On les appelait les « oiseaux ». Petite, j’ai demandé à ma mère de me raconter, mais elle a changé de sujet. Cette histoire d’ « oiseaux » est-elle vraie ? »

« Les cochons sont maintenant croisés avec des gènes d’axolotl, ces larves amphibies dont les membres arrachés peuvent repousser. On fait des essais publics de découpage de patte ou d’oreille, pour voir si la mutation marche, et le village se remplit de bêtes fluorescentes mutilées qui gouttent leur carnaval de plaies jusqu’à ce que leur chair se soit reconstituée. »

« À chaque anniversaire, Joseph m’offre des cadeaux magnifiques. Pour mes quarante ans, c’est un mouton. Vivant. Du jamais vu, au village. Mouton égale laine, lait et même viande : je n’en peux plus de manger du poisson et je ne supporte plus de voir tuer des cochons qui font partie de ma famille maintenant. Sans parler de leur grâce, quand ils nagent : on dirait maman, en plus fluorescent. »

L’illustration ci-dessus est d’Evgenia Arbugaeva. La photographie de Karin Serres ci-dessous est de Julien Falsimagne.

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Karin Serres

À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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