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Notes de lecture 2011

Note de lecture : « Rêves de gloire » (Roland C. Wagner)

Magistrale uchronie, soigneusement obsessionnelle, pleine d’intelligence et d’humour.

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Rêves de gloire

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Avec ces 700 pages publiées en avril 2011 chez l’Atalante, Roland C. Wagner signe un roman magistral. Grâce à un magnifique double détour (l’utilisation en toile de fond d’une Algérie ayant évolué « très différemment » à partir de l’assassinat réussi du général de Gaulle en octobre 1960 – et le recours en narrateur « principal » à un acharné collectionneur contemporain de vinyls rock rares), l’auteur nous entraîne dans un dense tourbillon où l’on côtoiera toutes sortes d’activistes, de pacifistes, de musiciens, de drogués, de gourous, de juntes militaires ou de barbouzes, avec à l’occasion de singuliers personnages tels un cornélien adjudant-chef de la Légion, une égérie aussi permanente qu’anonyme, une coopératrice aussi généreuse que redoutable, une surprenante héritière, un guitariste antillais égal de Jimi Hendrix, et encore quelques autres…, tourbillon dans lequel un 45 tours mythique devient un enjeu aussi surprenant qu’essentiel.

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« C’est l’histoire d’un disque entrevu sur un site de vente aux enchères. Un quarante-cinq tours sorti à Alger vers la fin des soixante, mis en ligne quelques instants plus tôt, mots clés Algiers 60s psych. Pochette bariolée avenante, annoncé en bon état, prix de départ : quinze dollars. Le nom du groupe m’était inconnu, mais nul ne peut prétendre tout savoir, même au sujet de domaines aussi restreints que le rock psychodélique français ou la musique vautrienne algéroise. Les Glorieux Fellaghas… Il fallait oser. Rêves de gloire / Regarde vers l’Orient… De mieux en mieux. Et le label s’appelait Les Disques de Tim… Voilà qui commençait à ressembler à une pièce de collection méconnue. J’ai consulté deux ou trois bouquins, effectué une recherche sur la toile, passé plusieurs coups de fil – en vain. Ce disque n’était répertorié nulle part, personne ne l’avait jamais vu passer. »

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Nostalgie, tendresse, ironie et réflexion socio-politique se partagent habilement ce petit monument de passion, passion de la musique bien entendu, mais aussi et peut-être surtout, malgré l’apparence, passion des humains décidés et cohérents, particulièrement dans ce qui semble leurs errances. La référence « Rock Machine / Little Heroes » du grand Spinrad de 1987 est ici largement éclipsée. Si l’on sourit beaucoup au cours de cette lecture (le destin musical de l’Algérois et les rusées francisations des mots anglais du rock ou de la géopolitique contemporaine, par exemple !), on y médite aussi beaucoup, jusqu’à son final pourtant effréné.

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Seuls petits regrets à mon goût, qui empêchent peut-être cet excellent roman de rejoindre les absolus chefs d’œuvre : une part « trop élevée » de références fictives pour collectionneurs maniaques, qui, si elle contribue clairement à installer et nourrir l’ambiance, pourra épuiser au bout d’un moment le lecteur qui ne partagerait pas à 100 % cette passion, et une polyphonie trop discrète, qui rend délicat le suivi des narrateurs et narratrices dont beaucoup parlent d’une voix trop similaire… Défauts toutefois mineurs qui ne gâchent que très peu l’ambition à l’œuvre et le grand plaisir de cette lecture, de l’une des plus puissantes uchronies que je connaisse.

Et comme le dit l’exergue du roman : « C’est pour cela que je préfère maintenant des bouquins qui obligeraient les gens à prendre conscience. Mais c’est beaucoup plus difficile, parce que ce que les gens qui tiennent les leviers veulent, ce sont des livres qui apportent une certaine qualité de rêve qui permet d’éviter de donner une certaine qualité de vie. » (Louis Thirion)

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Discussion

6 réflexions sur “Note de lecture : « Rêves de gloire » (Roland C. Wagner)

  1. Hello,
    Je ne sais pas si qui que ce soit lit les commentaires mais bon, j’les fais quand même 🙂
    D’autant que cette critique est tout à fait juste, dans les qualités comme dans la limite essentielle du texte (à savoir: que les voix soient trop similaires, ce qui aplatit quelque peu les choses).

    J’ajouterais une dimension: la prise de conscience, à mesure que l’uchronie se développe, du « cancer » qu’est l’Algérois pour la France. Que le fait d’avoir fait une partition de l’Algérie oblige la France à toujours y penser, comme une sorte de douleur lancinante qui ne passe pas et qui entraîne de temps à autre des crises aigües. Cette sensation se développe par petites touches extrêmement crédibles, et d’autant plus finement qu’il n’y a pas de narrateur « français ». C’est réussi et en cela le texte n’est absolument pas nostalgique d’une Algérie française même réduite à un confetti.

    Publié par le lecteur | 24 août 2015, 16:49
  2. Très juste, en effet ! Et merci !

    Publié par charybde2 | 24 août 2015, 16:55

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