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Notes de lecture 2017

Note de lecture : « Clameurs – Portraits voltés » (Richard Comballot)

Sept entretiens exceptionnels avec les auteurs français emblématiques de La Volte.

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Ce recueil d’entretiens conduits par Richard Comballot, publié en 2014 à La Volte, constitue un moyen rare et précieux de pénétrer dans les circuits imprimés profonds de cet éditeur pas comme les autres, à travers sept auteurs emblématiques de la maison, en même temps qu’un aperçu extraordinaire de la manière dont fonctionne une tranche particulière de l’imaginaire contemporain.

Sept auteurs à la fois fort différents les uns des autres et étonnamment proches dans certaines de leurs préoccupations littéraires, sociales ou politiques : Alain Damasio, Stéphane Beauverger, Jacques Barbéri, Emmanuel Jouanne (décédé en 2008), Philippe Curval, David Calvo et Léo Henry, comptant à l’époque de la publication du recueil entre 35 ans pour le plus jeune (Léo Henry) et 85 ans pour le plus âgé (Philippe Curval).

Dix ans après la parution de La Horde du Contrevent, il convenait de faire un point sur cette aventure éditoriale sans équivalent dans le paysage littéraire français. Il fut donc décidé de réunir sous une même couverture des interviews-fleuves des sept auteurs français estampillés « SF » publiant sous la bannière voltée. Des entretiens réalisés « à l’ancienne », en face à face et au micro, et non produits par échanges électroniques successifs et formatés ; afin de favoriser le souvenir, l’anecdote, la spontanéité, la digression. Autrement dit, pour tenter d’atteindre une certaine profondeur. Une certaine vérité…

Si l’on apprendra bien ici une foule de choses, et notamment de renseignements biographiques, il y a surtout à l’œuvre un art partagé, entre Richard Comballot et les auteurs interrogés, d’extraire des parcours respectifs une information potentiellement significative sur la manière dont se constitue et évolue une écriture, des influences assumées aux hasards des rencontres, des lectures déterminantes aux croisements artistiques, des quêtes personnelles aux nécessités de la vie et de la survie, des encouragements aux découragements. L’importance déterminante de la lecture de Gilles Deleuze ou de la pratique de l’école supérieure de gestion chez Alain Damasio, l’expérience précoce de la littérature cyberpunk et l’âge héroïque du scénario de jeu vidéo chez Stéphane Beauverger, le rapport à la musique et l’expérience de l’audiovisuel chez Jacques Barbéri, l’éclectisme littéraire prononcé et la lecture boulimique chez Emmanuel Jouanne, la marque initiale du surréalisme et la reconfiguration permanente de l’œuvre chez Philippe Curval, le rôle du game design, de la profusion et du projet incessant chez David Calvo, ou encore la curiosité échevelée et le lien au jeu de rôle chez Léo Henry : autant de facteurs, parmi bien d’autres, qui contribuent à nous permettre de mieux saisir une écriture particulière, une manière de concevoir la littérature, la science-fiction et la vie, dans l’intimité du créateur au long cours.

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Photo ® Raymond Damasio

Deleuze, je l’ai découvert un peu plus tard, à la fin de l’ESSEC. Il ne m’a jamais lâché et c’est clairement le philosophe qui m’a le plus construit. C’est étrange de dire ça, mais Nietzsche et Deleuze sont les deux personnes au monde qui m’ont le plus fait grandir. Plus que mes parents, plus que mes rencontres. Et ce sont les seuls qui m’aient fait croire en le livre. Parce que j’ai toujours eu un gros doute sur son utilité, son intérêt : je n’ai jamais postulé que la culture soit utile, fondamentale. On ne m’a pas éduqué ainsi. Les premiers qui m’ont fait sentir physiquement et mentalement que le livre pouvait changer une vie, c’est Nietzsche et Deleuze. Ce sont eux qui m’ont appris ça. Et les lire m’a donné envie d’écrire pour apporter quelque chose à mon tour. (Alain Damasio)

Consacrant de 45 à 90 pages à chaque auteur (à l’exception d’Emmanuel Jouanne, dont les 30 pages sont issues d’une interview plus ancienne), Richard Comballot développe sous nos yeux son art assez spécifique de l’entretien approfondi. Comme il nous y a habitués dans le format qu’il affectionne au sein de la précieuse revue Bifrost, il sait aller, mine de rien, au fond des choses, s’appuyant sur un méticuleux travail préalable de lecture et d’intégration des entretiens ou articles déjà existants, quelle que soit la difficulté éventuelle à se procurer les sources souvent éphémères de ces données, surtout lorsque sont évoqués les « débuts de carrière ». Documenté en profondeur, toujours étonnamment complice sans jamais être complaisant, nanti d’un solide sens de l’humour qui ne s’exprime jamais aux dépends du propos lui-même, il obtient ainsi d’impressionnants discours raisonnés, qu’ils soient déjà construits ou que leur construction s’opère sous nos yeux, y compris sur des sujets souvent délicats pour les auteurs, qu’il s’agisse de traumatismes éventuels, de lectures et d’influences, ou du rapport de chacun à la science-fiction en soi.

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Stéphane Beauverger

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Tu as déclaré : « (…) je ne me considère pas comme un auteur de science-fiction, plutôt comme un raconteur d’histoires qui se sert de ce que permet la SF. »
Mes problématiques étant liées à la société des hommes et à l’humanité, on conviendra que la SF est un genre particulièrement adapté, permettant de poser ce genre de questions. Alors, forcément, je me suis tourné vers elle. Pour autant, je ne me considère pas comme un auteur de SF. D’abord parce que je n’aime pas appartenir à un club quel qu’il soit. Ensuite parce que je me rends bien compte en discutant avec d’autres auteurs que certains ont une approche académique et historique du genre que je n’ai pas. J’écris ce que j’ai envie d’écrire. Si certains veulent ranger mon travail dans la SF, c’est bien. Sinon tant pis. De toute façon, je pense que ce n’est pas à l’auteur de définir ce qu’il fait. (Stéphane Beauverger)

Avec une humilité réelle, mais aussi avec un impressionnant sens de la profondeur et du détail, ces « Clameurs » nous offrent ainsi, plus encore qu’une plongée roborative dans la construction des œuvres et de leurs auteurs, une déterminante leçon pratique, en action, sur la manière dont les lectures et les rencontres nous construisent, sur la manière dont les intentions peuvent buter sur le réel et échafauder compromis, contournements et transformations opportunes avec lui, sur la manière dont le hasard et la nécessité s’entrelacent au quotidien dans l’élaboration des arts et des vies.

Pourquoi avoir choisi la SF comme mode d’expression ?
On m’a souvent posé la question. La réponse est simple et courte : ça n’a pas été un choix ; pas davantage une réflexion. Pour moi, il n’y avait pas d’autre choix possible. C’était l’évidence. Après coup, je peux rationaliser et dire pourquoi : pour moi, la SF est la seule littérature véritablement politique, la seule qui permette de développer des idées, de rendre concrets des concepts, de projeter des tendances. Et l’imaginaire est la seule respiration dont nous disposions. Plus le monde est contrôlé, plus l’imaginaire devient fondamental, pouvant offrir des résistances. Pour moi, c’est la littérature de résistance par excellence. (Alain Damasio)

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À propos de Hugues

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