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Notes de lecture 2017, Nouveautés

Note de lecture : « Frères migrants » (Patrick Chamoiseau)

Plaidoyer sensible et poétique pour transformer notre rapport à l’hospitalité et notre imaginaire politique.

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Des pays en guerre comme des artères ouvertes partent des milliers de migrants qui risquent leur vie dans cette traversée et se heurtent au mur d’une mer Méditerranée transformée en cimetière et à des frontières infranchissables. Comme Erri de Luca le dénonce dans «Le dernier voyage de Sinbad», Denis Lemasson dans «Nous traverserons ensemble», Vladimir Lortchenkov dans «Des mille et une façons de quitter la Moldavie», ce ne sont pas les migrants qui nous menacent mais la hauteur et la dureté des murs extérieurs et intérieurs élevés par les régimes abrités derrière leurs vieilles frontières, et l’indignité de notre politique envers nos frères migrants.

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Paru en avril 2017 aux éditions du Seuil, ce texte inspirant comme une lueur est le cri du poète qui appelle à soutenir les migrants et à ouvrir en nous la voie d’un autre imaginaire, face à des états qui s’amenuisent et «s’inclinent sous d’innombrables entités mercantiles, diffuses et agissantes dans le tissu du monde», tandis qu’on expulse, disperse, enferme et garde à vue, tandis que le rejet, la haine et la violence prennent pied dans les esprits, amplifiés par «des boucles d’algorithmes et de réseaux sociaux».

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® Hind Meddeb

La barbarie contemporaine devient aujourd’hui de plus en plus visible, écume meurtrière dans le sillage de la mondialisation libérale, protéiforme et rarement désignée. Précarité, chômage, décrochages sociaux, misère devenue évidente au cœur des villes splendides, ce sont les symptômes «de cette barbarie qu’il nous faut désigner : le paradigme du profit maximal», celui-là qui globalise et uniformise les désirs, et qui dissout maille après maille la liberté, l’égalité, la fraternité, le partage, l’équité, la dignité humaine et avec eux le bonheur.

La barbarie nouvelle transforme les hommes en choses et supprime partout l’«Ailleurs». «Elle avale sans le vouloir les marges et digère les écarts». Que reste-t-il de l’hospitalité dans l’obsession marchande, et dans l’enfermement dans un « idéal » sécuritaire ? En évoquant les yeux des migrants qui sont comme des lucioles, Patrick Chamoiseau convoque cette poétique active dont a parlé Édouard Glissant, la mondialité, envers positif de la mondialisation qui nivelle et standardise ; il convoque l’ouverture et la bienveillance qui permettent de voir que l’humanité et l’imaginaire s’enrichissent en s’ouvrant à la diversité des autres. Au-delà du rejet de ce que Michel Agier appelle l’encampement du monde, Patrick Chamoiseau appelle à voir les migrants comme des lueurs, «demandeurs d’une autre cartographie de nos humanités».

® Apichatpong Weerasethakul

«La mondialité, c’est surtout ce que la mondialisation économique n’a pas envisagé, qui surgit et se produit sur la gamme d’un brasillement dans le vrac ténébreux. C’est l’inattendu humain – poétiquement humain – qui leur résiste, les outrepasse, et qui refuse de déserter le monde !»

Après le plaidoyer pour l’hospitalité de Frédéric Boyer, dans «Quelle terreur en nous ne veut pas finir ?», Patrick Chamoiseau met son art poétique sensible au service de la solidarité avec les migrants, pour briser l’indifférence et appeler à une nouvelle richesse de l’imaginaire politique asséché par la marchandise et le pouvoir d’achat. La déclaration des poètes en seize articles, lancée en février 2017, conclut ce texte en forme d’un appel solennel et vibrant à tous les artistes.

«12- Les poètes déclarent que, quelles que soient les circonstances, un enfant ne saurait naître en dehors de l’enfance ; que l’enfance est le sel de la terre, le sol de notre sol, le sang de tous les sangs, que l’enfance est donc partout chez elle, comme la respiration du vent, le salubre de l’orage, le fécond de la foudre, prioritaire en tout, plénière d’emblée et citoyenne d’office.»

À propos de Marianne

Une lectrice, une libraire, entre autres.

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