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Notes de lecture 2013

Note de lecture : « L’île de béton » (J. G. Ballard)

Retour à l’état primitif d’un naufragé dans une mer de bitume.

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En une après-midi d’avril 1973, Robert Maitland roulant comme d’habitude à grande vitesse au volant de sa Jaguar en périphérie de Londres, fait une sortie de route, passe par-dessus le remblai pour venir atterrir en contrebas dans un terrain vague, sorte d’îlot triangulaire entre les voies convergentes de plusieurs autoroutes.

«À peine blessé après avoir frôlé la mort, Maitland demeura prostré sur le volant ; ses vêtements saupoudrés de morceaux de verre étincelaient comme un habit de lumière.»

Naufragé et blessé sur cette île de béton, il s’en retrouve prisonnier, Robinson du bitume. Malgré toutes ses tentatives, il n’arrive pas à attirer l’attention des voitures qui passent en flots incessants, pour avoir du secours. Rapidement diminué, affamé et fiévreux, il cherche à survivre, à affronter les conditions de «l’île» qu’il voudrait dominer comme si elle était vivante.

Cette île ambivalente est lieu de perdition et de barbarie, mais aussi un refuge, qui prend l’apparence d’un fragment d’un monde disparu. Ce petit morceau de terrain semble beaucoup plus ancien que le réseau de béton qui la cerne, comme une parcelle têtue qui continuera d’être là, même lorsque les autoroutes retomberont en poussière. Les traces du passé dans cet endroit oublié, le terrain ferrailleur, les carcasses de voiture, les errances puis la lutte de Robert Maitland pour s’approprier le territoire face aux autres occupants bizarres et menaçants de l’île renvoient le naufragé à son propre passé, dans une expérience traumatique qui devient libératoire des pressions de l’enfance et de celles de son milieu. Cette aventure glauque dans un esprit désert, symptomatique de l’époque moderne, est aussi l’aventure d’un retour à l’état primitif.

Deuxième épisode de la célèbre «trilogie de béton» publié en 1974 (contrepoint symétrique à «Crash !» paru en 1973, avant «I.G.H.», 1975), traduit par Georges Fradier pour les éditions Calmann-Lévy dès 1974, la fable en forme de sortie de route de Robert Maitland, réduit à l’état d’épave en seulement quelques heures, dessine l’image d’un monde où la sauvagerie s’étend pour aboutir à une déraison totale, où les hommes à leur deviennent des produits jetables, où ils sont enfermés dans le fantasme, de plus en plus détachés du réel.

 «Il se retourna pour contempler l’île une dernière fois. Les hautes herbes, où ses allées et venues mal assurées avaient dessiné de vagues sentiers, se redressaient déjà et commençaient à engloutir la Jaguar argentée. Une maigre lumière jaune s’étendait sur l’île, brume sordide qui semblait monter de l’herbe et de la pourriture, suppuration de cette terre pareille à une vieille blessure infectée.»

À propos de Marianne

Une lectrice, une libraire, entre autres.

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