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Notes de lecture 2013

Note de lecture : « Crash ! » (J. G. Ballard)

Métaphore extrême d’une civilisation moderne devenue inhumaine, autour de ses obsessions majeures : sexe et automobile.

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«Vaughan est mort hier dans son dernier accident. Le temps que dura notre amitié, il avait répété sa mort en de multiples occasions, mais celle-là fut la seule vraie. Lancée vers la limousine de l’actrice, sa voiture a franchi le garde-corps du toboggan de l’aéroport de Londres et plongé vers le toit d’un car rempli de voyageurs. Les corps broyés en grappes des touristes, comme une hémorragie du soleil, étaient toujours plaqués sur les sièges de vinyle lorsque je me suis frayé un chemin parmi les techniciens de la police, une heure plus tard. Cramponnée au bras de son chauffeur, l’actrice Elizabeth Taylor, avec qui Vaughan avait depuis tant de mois rêvé de mourir, se tenait à l’écart sous les feux tournants de l’ambulance. Quand je me suis penché au-dessus de Vaughan, elle a porté une main gantée à sa gorge.»

Vaughan, ancien présentateur télé totalement narcissique, au physique couturé de cicatrices après un accident de la route, traque jour et nuit les accidents de voiture, la vision des victimes meurtries par la ferraille qui lui procurent un plaisir érotique violent. Branché sur la radio de la police, porté par cette sexualité obsessionnelle et démente, il photographie, détaille, et jouit devant les images des calandres arrachées et des blessures humaines, et fantasme sans fin sur un accident qui déchiquèterait les chairs d’Elisabeth Taylor.

Le narrateur de «Crash !», lui-même appelé James Ballard, se transforme après son implication dans un accident de voiture. Il commence à percevoir le potentiel sexuel des catastrophes routières, devient obsédé par Vaughan, ne peut plus s’en défaire.

Dur par sa violence et sa froideur, dérangeant et fascinant, ce roman de Ballard, observateur de la barbarie associée à l’émergence des technologies, forme une sorte d’anthologie sadienne des perversions possibles dans l’accouplement de l’homme, de la femme et de la machine. Les déchirements de la chair, les blessures comme des orifices, les liquides et secrétions exposés sans cesse à notre voyeurisme, les scènes de sexe comme ritualisées, le choix des mots brutal et sans sensualité orchestrent le mariage sanglant et outrancier des pulsions de vie et de mort, de la violence routière et de la jouissance sexuelle.

On devine le scandale que put provoquer «Crash !» lors de sa publication en 1973 (traduction de Robert Louit en 1974 pour les éditions Calmann-Lévy). Ce premier épisode de la célèbre «trilogie de béton» (« Crash »« L’île de béton », 1974 ; « I.G.H. », 1975), dont Claro nous a offert un écho explosif dans son roman «Crash-test» (Actes Sud, 2015), entraîne le lecteur dans un univers qui n’est pas vraiment le futur, un monde juste au-delà des frontières de la folie du nôtre, un paysage-machine entièrement urbanisé, vision prémonitoire d’un monde où la violence, le voyeurisme et les pulsions suicidaires ne connaissent plus d’entraves.

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® Andy Warhol, Ten lizes (1963).

Inspiré par les nouvelles formes d’écriture de Jean Genêt, de William S. Burroughs, par une modernité dominée par des technologies sinistres, vecteurs de la pornographie et de la paranoïa, James Graham Ballard (1930-2009) déploie un éventail hallucinant de perversions, qui irritent et fascinent, dans ce roman porté par la beauté de son écriture. Le lecteur ou la lectrice se retrouve ainsi piégé, voyeur enchaîné dans un récit mortifère, amoral et visionnaire.

«Mes pieds traînaient sur un tapis de feuilles mortes, de paquets de cigarettes froissées et de débris de verre. Cette poussière de verre de sécurité, balayée sur l’arrondi du talus par d’innombrables ambulanciers, formait comme la moraine d’un glacier miniature. J’étais fasciné par ce collier poudreux, vestige d’un millier de collisions. D’ici trente ans, d’accident en accident, le tapis deviendrait dune. Dans cinquante ans, ce serait une plage de cristaux acérés. Une nouvelle race de clochards surgirait alors, cherchant à croupetons, parmi ces ondulations de pare-brise pulvérisés, des mégots, des préservatifs usés et de la petite monnaie. Enfouie au sein de cette nouvelle strate géologique formée par l’âge de l’accident automobile, il y aurait ma propre mort, minuscule, aussi anonyme qu’une balafre vitrifiée sur un arbre fossile.»

Ce roman éminemment visuel fut finalement transposé au cinéma par David Cronenberg en 1996, une lecture cinématographique du livre puissante et tout aussi controversée.

À propos de Marianne

Une lectrice, une libraire, entre autres.

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