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Notes de lecture 2016, Nouveautés

Note de lecture : « Marx et la poupée » (Maryam Madjidi)

La douleur de l’exil et le baume des mots pour éclairer la vie.

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À paraître le 12 janvier 2017 au Nouvel Attila, le premier roman de  Maryam Madjidi est poignant, tendre et poétique. Il est construit comme un chemin entre deux pays, entre la langue maternelle et la langue de l’exil : l’histoire de Maryam, enfant exilée à Paris en 1986 avec ses parents dans le sillage de la révolution iranienne et de la répression, ayant apprivoisé la langue française et la magie des mots pour s’intégrer, dominé l’écriture pour faire renaître les fantômes et les étoiles filantes laissées derrière soi en Iran, pour raconter l’oubli et finalement le lien renoué avec la langue persane.

«Un père, une mère et une fille
Le père avait la forme d’une ombre se faufilant sur les murs
La mère, le visage caché, portait une longue robe balayant la terre
La fille, silhouette légère, avait les pieds suspendus dans l’air
Et tous les trois gardaient un secret dans le creux de la main
Sur leur paume, un mot était gravé : EXIL.»

Maryam naît en Iran aux premières heures de la révolution. Les activités politiques clandestines de ses parents et la répression des «gardiens de la révolution» les condamnent à l’exil, pour échapper à la mort «assise les jambes croisées sur les montagnes de l’Alborz qui surplombent Téhéran». Obligée de donner ses jouets qu’elle ne pourra emporter dans ses valises, la petite fille leur raconte des histoires, blessée par ces parents indignes qui veulent lui ôter ce qu’elle a de plus cher, et décide envers et contre tout de les enterrer dans le jardin. Sous terre ils côtoieront les rêves enfouis de sa mère et les livres interdits de son père, Marx, Engels, Lénine et les autres. Un passé enterré sur les traces duquel il faudra revenir, avec l’aide des histoires.

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® Ali & Ramyar

«Je déterre les morts en écrivant. C’est donc ça mon écriture ? Le travail d’un fossoyeur à l’envers. Moi aussi j’ai parfois la nausée, ça me prend à la gorge et au ventre. Je me promène sur une plaine vaste et silencieuse qui ressemble au cimetière des maudits et je déterre des souvenirs, des anecdotes, des histoires douloureuses ou poignantes. Ça pue parfois. L’odeur de la mort et du passé est tenace. Je me retrouve avec tous ces morts qui me fixent du regard et qui m’implorent de les raconter. Ils vont me hanter comme mon père, qui se réveillait en sueur chaque nuit durant des années. Invisibles, ils suivent mes pas. Parfois, je me retourne brusquement dans la rue et je vois des bouches effacées.»

Maryam va renaître loin de la patrie d’origine, surmonter la nostalgie, la chape de tristesse des parents et les conditions d’une existence de fantômes, après leur arrivée dans une chambre de bonne du 18ème arrondissement. Elle va retrouver la joie avec de nouveaux mots, ceux de la langue française, avant de se réconcilier finalement avec sa culture double.

«Je suis une sorcière qui prépare une nouvelle langue et je ne veux pas qu’on me presse. Je vais bientôt mettre au monde mon français comme un enfant qui va naître, je le sais, je le ferai quand ce sera prêt. La langue prend forme dans le secret de ma bulle, de mon monde intérieur, mon placenta à moi.»

La force et la beauté de ce roman viennent de l’entrelacement des souvenirs d’enfance et de leur récit ultérieur, de l’entrelacement des émotions – la peur et la douleur qui hantent les cauchemars des adultes qui résistent dans un Iran qui alors «massacre ses meilleurs enfants», la joie, l’amitié et l’amour, émotions gravées dans un coeur si jeune -, de l’entrelacement des formes et des voix – du père, de la grand-mère et de la petite fille, et plus tard de la mère, rendue mutique par la répression et la dureté de l’exil. La voix de la mère, plus rare, semble être bienfaisante comme une source, dans laquelle Maryam plonge et fouille pour trouver la sienne. Ces entrelacements sont les échos de papier de la complexité de l’exil et de tous ses paradoxes. La force brutale du récit surgit aussi de certaines scènes, comme celle du départ d’Iran de la mère et de la petite fille, incertain jusqu’au dernier instant.

Fable poétique où le lecteur oscille entre rire et larmes et premier roman à la voix singulière comme celui d’Elitza Gueorguieva, «Marx et la poupée» nous rappelle que beaucoup de belles créations littéraires naissent d’une dissidence avec un territoire de la vie, et de cette nécessité, selon les mots de Joan Didion, de «se raconter des histoires afin de vivre, encore et toujours».

«Je voudrais passer ma vie à récolter des histoires. De belles histoires. Dans un sac, je les mettrais et je les emporterais avec moi. Et puis au moment propice les offrir à une oreille attentive pour voir la magie naître dans le regard. Je voudrais semer des histoires dans les oreilles de tous les êtres. Je veux que ça fleurisse, qu’il en sorte des fleurs embaumantes à la place de toutes les fleurs manquantes, absentes, de toutes les Golé Maryam qui auraient dû être offertes et qui n’ont pas pu l’être.»

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À propos de Marianne

Une lectrice, une libraire, entre autres.

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