La brûlure bouleversante de l’amour dans un monde en feu. Incandescent et fantastique.
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Antonio Moresco, dans les trois romans que nous avons la chance de pouvoir lire en français grâce aux éditions Verdier et aux traductions merveilleuses de Laurent Lombard, place ses personnages d’emblée dans des situations de perdition et de questionnements extrêmes : solitaire, dans une grande souffrance inexprimée et coupé du monde pour le personnage central de «La petite lumière», sans domicile, perclus de douleur et de saleté pour celui de «Fable d’amour».
Dans «Les incendiés», roman publié en 2010 et en français en août 2016, le narrateur est désespéré, en perdition en même temps que ce qui l’entoure, totalement seul dans un monde «entièrement foutu».
Cet homme anonyme dont on ne saura presque rien si ce n’est qu’il a été soldat, comprend brutalement un jour qu’il doit changer sa vie. Il s’enfuit en voiture de son domicile, roule sans but avant de se terrer dans un hôtel en bord de mer. Les hommes et des femmes qu’il y croise lui apparaissent comme des animaux blessés, avec leurs orifices comme des blessures vers leurs intérieurs fétides, dans un monde trop sec, où les incendies menacent, la sécheresse des cœurs et du climat semblant ici se confondre.
Obligé de s’enfuir une nuit avec la foule lorsque son hôtel est cerné par les flammes, il croise sur la falaise où il s’est réfugié une femme magnifique, qui a l’air de venir d’un autre monde. Cette femme, quintessence de toutes les femmes émouvantes qu’il a croisées depuis quelques jours, quelques années, ou peut-être même depuis l’enfance, va toucher son cœur au plus profond, avec son visage à la bouche aux dents d’or, son corps et ses paroles, lorsqu’elle va lui déclarer qu’elle a incendié le monde pour lui.
«Tout autour le feu, et nous deux-là, inconnus jusqu’à l’instant d’avant, l’un près de l’autre, au cœur de la flamme, là où la flamme ne brûle pas.
C’est difficile à faire comprendre avec des mots. Ça ne vous est jamais arrivé de rencontrer une personne inconnue, dans un moment de la vie où vous n’étiez plus présents à vous-mêmes, où vous ne coïncidiez plus avec vous-mêmes, et d’éprouver pour elle un bouleversant sentiment de proximité et de fusion, comme si pendant un instant s’était ouverte, on ne sait où, une fissure qui vous a fait voir une réalité complètement différente, que vous aviez sous les yeux mais que vous n’arriviez pas à voir jusqu’à l’instant d’avant ?»
Après la rencontre avec cette femme au visage doux, concentré, rayonnant, comme une apparition dans un monde en flammes, le cours de l’existence et le temps n’ont plus vraiment de sens pour l’homme, si ce n’est pour chercher ce visage et ce corps aimé qu’il a reconnu «dans la masse noire de la vie et du monde». La bouche aux dents d’or de cette femme semble être l’emblème du rayonnement qu’elle dégage mais aussi la marque de son asservissement et des violences qu’elle a subies dans un monde soumis à l’attraction de l’or, puisque cette femme d’origine slave est une esclave moderne.
Sonné par la découverte de la catastrophe de sa vie et par l’apparition de cette femme, l’homme comprend qu’il doit fuir le métier criminel qu’il exerce, et sauver son amante de sa condition d’esclave et des cercles de l’Enfer. Avec très peu de mots pour décrire le réel et les activités où elle et lui, avec tant d’autres, sont emprisonnés dans le crime, la prostitution et la violence, ce roman flamboyant et hypnotique se transforme, comme un objet littéraire en fusion, d’une histoire de désespoir et d’amour en un roman noir et de guerre, en un thriller fantastique aux accents mystiques, porté par la poésie visionnaire de l’auteur.
«Comment peut-on décrire ce qui peut advenir certaines rares, très rares fois, entre deux visages et deux corps qui se rencontrent dans l’océan de la matière des autres corps, ce qui advient quand deux particules dotées de charge opposée s’attirent et puis se détruisent en se transformant en radiation ?»
Antonio Moresco a décrit «La petite lumière» comme une météorite, détachée de son œuvre «Chants du Chaos». Allégorie de la planète qui brûle, célébration incandescente de l’amour et de l’érotisme, d’une soif de liberté désespérée, révolte contre la violence moderne extrême qui emprisonne femmes et hommes et contre les mafias qui asservissent, ce roman-ci ressemble à un astre en fusion.
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