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Notes de lecture 2015

Note de lecture : « Daimler s’en va » (Frédéric Berthet)

Nonchalance joueuse et tragique souplement dompté pour temps difficiles.

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Daimler s'en va

Publié en 1988 chez Gallimard, le premier (et seul) roman du trop tôt disparu Frédéric Berthet (1954-2003) est l’un de ces étranges objets cultes qui, parfois, traversent la littérature en semant l’hallucination et l’incrédulité songeuse sur leur passage. C’est Fabrice Pataut, par ailleurs auteur de plusieurs textes excellents (« Aloysius » en 2001, ou encore « Reconquêtes » en 2011, par exemple) qui, venu faire le libraire d’un soir à la librairie Charybde en mars 2012, attira le premier mon attention sur cet auteur, avant que je ne le découvre dans les roboratifs papiers de Jérôme Leroy, sur son blog « Feu sur le quartier général », puis comme héros transformé et invité à son insu dans « L’ange gardien ».

Daimler est assis sur une chaise au milieu d’une pièce. Un rayon de soleil se promène sur le parquet. Le silence est complet. Daimler ressemble à un détective privé dont les affaires ne marcheraient pas très fort.

Cent dix pages faussement diaphanes, habitées par plusieurs je-ne-sais-quoi et quelques presque-rien, pour dire, subtilement, lentement, joueusement néanmoins, l’ennui et la résignation – qui sont pourtant loin de n’être que cela – de deux amis, Daimler et Bonneval, leur désenchantement profond, existentiel, confronté à la déliquescence des espoirs sociaux ou politiques et au chagrin de l’amour enfui.

Daimler se fait apporter un cognac durement millésimé. Le temps, réfléchit-il, est une mouche posée sur le dos de ma main. Et que je chasse avec la plus grande nonchalance possible, ajoute-t-il.

Dans son article de 1988 consacré à « Daimler s’en va », Bertrand Poirot-Delpech concluait ainsi : « Il fait au lecteur ce cadeau de prix : de quoi se découvrir soi-même plus original qu’on ne croyait. À tout le moins, plus singulier. ». Ce n’est pas le moindre mérite de Frédéric Berthet que d’avoir su proposer ce subtil miroir déformant, élevant en une langue acérée, sous sa nonchalance intelligente, la conscience amusée du tragique et la vigilance sourdement oppressée au rang de vertus cardinales, lorsque « la minute prescrite pour l’assaut » semble se faire trop désespérément attendre et qu’il faut inventer une écriture poétique de l’attente impossible, pour tenir en pareilles circonstances.

Daimler s'en va 2

Et la seconde chose que je tiens à signaler, maintenant que ma colère noire est passée, c’est que ce que vous êtes en train de lire  (mes très chers frères, mes très chères sœurs) a été enregistré sur un magnétophone portatif japonais, posé sur un plancher poussiéreux, dans les dernières journées d’un mois de juillet qui, franchement, ne donne à personne envie de rester à Paris. Nous sommes aujourd’hui le 27 juillet  1982, et j’espère que ça ne posera pas trop de problèmes quand le moment sera venu, et il viendra un jour ou l’autre, de transcrire tout cela. Je viens de passer l’après-midi dans ce gymnase étouffant et minable de l’École normale supérieure, à travailler ma seconde balle de service et  à m’anesthésier au son du rebond sur le parquet peint en vert. Ce court de tennis est le pire que j’aie jamais vu. Il sert aussi de terrain de basket et de volley-ball, et il est bordé de piliers dans les couloirs de double, contre lesquels des dizaines de personnes se sont assommées. De toute façon, c’était bien simple, quand j’étais élève dans cette foutue école, il suffisait qu’on voie passer une civière, et on pensait : le pilier. Les cordes qui pendent aux agrès, au fond de la salle, donnent une assez bonne image de mon état d’esprit, après trois paniers. Et pour qui ne s’est jamais livré à ce genre d’exercice, nom d’une pipe, je répète que « faire un panier » consiste à poser à côté de soi une grande corbeille pleine de balles usagées, les envoyer l’une après l’autre de l’autre côté du filet, et, une fois la corbeille vidée, aller les ramasser pour recommencer. Ce qui n’a pas l’air, à première vue, très exaltant, mais peut le devenir, dans certaines conditions. Et que toutes ces conditions (ou, pour être plus précis, pratiquement aucune! ne soient pas réunies ici ne change pas grand-chose à l’affaire.

Ce qu’en dit superbement ma collègue et amie Charybde 7 est ici.

Pour acheter le livre chez Charybde, c’est ici.

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F._Berthet_NYC06_85.pdf

À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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