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Notes de lecture 2015, Nouveautés

Note de lecture : « Se taire ou pas » (Isabelle Flaten)

Chronique incisive et sensible des maux nés du langage.

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Dans son quatrième livre, paru en Juin 2015 aux éditions Le Réalgar, Isabelle Flaten accumule et agence, en architecte patiente, une kyrielle de scènes exprimant combien les mots, ou leur absence, peuvent être assassins, et quelquefois sauveurs : paroles blessantes de la mère humiliant sa fille adolescente, ou mots caressants du maître s’adressant au cancre du dernier rang, pour lui prédire enfin un destin de poète.

«Devant le miroir de la salle de bain elle a esquissé un visage de femme, les yeux faits comme des lampions, les paupières pailletées, et les cils clignotants sous le mascara. Sur sa bouche aussi ça rutile, un rouge vermeil appliqué sur ses lèvres par une main fébrile dans l’élan brouillé, un peu coupable, des premières fois. Tout juste a-t-elle refermé la porte, dans le couloir sa mère est là, et immédiatement la lave jaillit, hors d’elle, du plus profond : « Mais d’où elle sort celle-là ? On dirait une roulure ! » Par-dessus les mots deux pupilles incandescentes qui la dardent, elle veut croire à un trompe-l’œil, effacer ce qu’elle voit. Mais c’est déjà trop tard, il n’y a plus rien à voir, sauf une ombre envolée vers la cuisine. Seule la parole souffle encore, une gifle. Qui balaie tout, sa métamorphose balbutiante, et la toute petite idée qu’elle se faisait d’elle-même. Peut-être ne sort-elle pas du ventre de sa mère.»

Avec une grande économie, ces fragments égrenés de parfois une seule ligne, racontent les guerres quotidiennes des silences et des mots : blessures du langage comme des éclats d’obus, batailles silencieuses, qui sont faites d’empêchements, échanges verbaux qui font tout dérailler comme si chaque destin était, par moments, suspendu au fil d’une phrase.

«Il suffit d’une grossièreté dans la bouche d’une femme pour que tout s’efface en lui, l’idée qu’il s’en faisait, et l’envie qu’il en avait.»

© Gilles Barbier, Le monde en forme d'histoires tissées

© Gilles Barbier, Le monde en forme d’histoires tissées

Avec ou sans paroles, les récits prennent des tournures cruelles ou drôles, de décalages en incompréhensions, en explosions tragiques des mots du quotidien ou rares éblouissements d’une communication qui soudain, miraculeusement, comble les attentes de celui qui parle (ou pas), et de celui qui écoute (ou pas).

«Comme il n’écoute jamais rien, elle a rompu par sms.»

«Aussitôt qu’il a terminé sa phrase il s’essuie la bouche pour ne pas laisser de traces.»

«Une fois de plus ce soir quand elle rentre le vieux a la larme à l’œil, rien qu’à la voir passer la porte, déjà ses yeux dégoulinent, il susurre sa fierté d’avoir une fille comme elle, bientôt dix-neuf ans, et pas un mot à dire, une merveille. Ce soir rien qu’à le voir comme ça à suinter ses perpétuelles foutaises, sa glotte s’enraye, dix-neuf ans de trop et pas un mot pour le dire, un connard. Déjà autour de son berceau il bavait qu’elle était la plus belle. Il répétait que personne ne lui arrivait à la cheville, et de pire en pire avec le temps, plus personne nulle part, parce qu’une famille se suffit à elle-même. Et toujours les yeux trempés à chacune de ses apparitions, avec la vieille derrière en renfort, le mouchoir à la main, prêt à l’essorage, quatre pupilles ruisselantes sur son passage. Sauf qu’elle a l’allure d’une baleine, la tête d’une morue, le tatouage raté, et pas l’ombre d’un garçon pour la sortir de là.»

Ce qu’en dit très justement Laurent Cachard sur son blog est ici.

Une belle découverte, qui donne envie de suivre Isabelle Flaten. Pour commander et acheter ce livre chez Charybde, c’est par ici.

 «Si elle écrit, c’est parce qu’elle ne sait pas parler, tout simplement.»

Isabelle Flaten

À propos de Marianne

Une lectrice, une libraire, entre autres.

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