Cachez ce monde que je ne saurais voir.
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J’ai aimé les livres de Jérôme Leroy dès la première ligne, depuis « Monnaie bleue » (éditions du Rocher, 2009) jusqu’à l’exceptionnelle bombe glacée de « L’ange gardien » (Série Noire Gallimard, 2014), en passant par l’inoubliable « La minute prescrite pour l’assaut » (Mille et une nuits, 2008), le choc du « Bloc » (Série Noire Gallimard, 2011) et son hommage au cinéma et à la littérature de genre avec « Dernières nouvelles de l’Enfer » (L’Archipel, 2013).
«Tu veux commencer par quoi ? Les juges chinois, La Dolce Vita, Robespierre, Monica Vitti, Bukowski, les filles de Lui et Playboy ou Raymond Bankerstein ?»
Il faut vraiment être un artiste de la plume pour écrire un tel livre, construit sur des digressions et des farcissures autour du thème des lunettes noires ; digressions autobiographiques sur l’éducation nationale, sa dérive lente et certaine, et sur la façon dont est vu un prof qui se pique d’écrire et de porter des Wayfarer noires, sur un voyage ensoleillé en URSS en 1980, sur un dépucelage télévisuel en 1990 lors de l’émission de Thierry Ardisson «Lunettes noires pour nuits blanches» ; farcissures sur les lunettes noires et la littérature, le cinéma et le décalage que l’on peut ressentir quand on aime par dessus tout l’hédonisme du monde d’avant. Farcissures qui donnent envie de revoir une fois encore « Le Fanfaron » ou « Diamants sur canapé », et de lire ou relire Bukowski, et d’autres.
«Remercions les progrès de l’optique de nous permettre de contempler, dans un confort visuel parfait, l’insoutenable clarté de notre fin derrière des verres fumés.»
Bref, c’est un livre qui n’entre pas dans les cases «marquétingues», ni essai ni roman, «ni viande ni poisson».
«Physiologie des lunettes noires» est un inclassable délectable, dans lequel les lunettes noires sont la marque d’un style, le révélateur d’une époque, mais aussi l’écran protecteur contre le vide contemporain.
«Tu en connais beaucoup toi des individus qui ont aussi peu besoin de toi de ce qui fait la satisfaction éphémère et triste de tes contemporains ? Des écrans plats, des fringues de marque, des ouiquendes clés en main dans des hôtels exotiques conçus comme des bounequères, des téléphones portables qui font horloge, ordinateur, casino, conseiller conjugal, journal intime, banque, sekstoïlle, confessionnal et livre de chevet. Non, je te connais, ton idéal c’est un transat délavé dans un jardin touffu de la campagne française. Si tu peux avoir la mer pas loin, tant mieux. Sinon, tu t’en accommoderas. Pas d’autres maisons dans les environs. Pas d’internet. Des livres. L’odeur de l’herbe coupée, des abricots et du chèvrefeuille, de l’encaustique et aussi de la poussière. Des bouteilles de bourgueil qui attendent sagement sur les tommettes de la salle plongée dans la pénombre fraîche.»
Pour acheter ce livre, paru en 2010 aux éditions Mille et une nuits, chez Charybde, c’est ici.
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