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Notes de lecture 2015

Note de lecture : « Hors saison » (Sylvain Coher)

Une poétique et sombrement drôle fuite immobile, au bord de la falaise.

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Publié en 2002 chez Joca Seria, réédité en 2011 chez Actes Sud, le premier roman de Sylvain Coher proposait déjà à la lectrice et au lecteur le redoutable triptyque fuite / rage / impossible apaisement qui hante une grande partie de son œuvre ultérieure, et que l’on retrouve bien, sous des formes joliment mutantes, dans ses récents « Carénage » (2011) et « Nord-Nord-Ouest » (2015).

Protagoniste principale, habitée par le souvenir omniprésent de Solenn, Elia s’est réfugiée à l’issue d’un long run en 2 CV dans une villa décatie, plantée au bord de la falaise surplombant un Atlantique (ou une Manche) facilement furieux dès que la belle saison s’efface, et qu’avec elle disparaissent estivants puis résidents secondaires du week-end.

C’est très beau d’aller vers la mer. Oui. C’est très romantique. Ce serait très beau si nous étions nés d’hier. Si nous étions tout neufs. Si nous n’étions pas les photophores de vieilles images, goudron tenace qui noircirait la plus turquoise des mers comme le plus incontinent des pétroliers. Sur la carte nous glissons vers l’ouest du bout des doigts. Vers la Bretagne, comme les pétroliers.

Dans le regard d’un étonnant narrateur, confident intime aux caractéristiques bien particulières, Elia s’installe pour souffler, se retrouver, muter subrepticement, peut-être, en autre chose qu’elle-même. Une touche d’humour saisissant se glisse dans le récit pourtant tragiquement nimbé de blessures et de traumatismes, par la grâce d’un point de vue très astucieusement improbable.

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Photo © Dominique Lempereur

Ses murailles à elle, elles étaient gigantesques. Plus que gigantesques. Avec sa main elle les situe à un mètre du sol. Elle venait d’apprendre un mot nouveau, elle disait qu’elle était mareyeur. Qu’elle relâchait l’eau quand bon lui souhaitait. Pour qu’elle disparaisse, toute cette eau, au fond de l’océan. Tout au fond, là où il fait noir tout le temps. Quand bon lui souhaitait elle ordonnait les marées. Elle était mareyeur, elle n’avait aucun chef et c’était elle qui décidait de tout. C’était une charge immense, une très grande responsabilité pour un enfant. Avec pour uniforme un vieux pull marin à col roulé et des jeans délavés rapiécés sur les fesses et des sandalettes en plastique jauni comme celles aux petites pointures qui dorment toujours dans les placards de notre nouvelle maison. Il faut un sourire gercé mais un véritable sourire pour être un bon mareyeur, me dit-elle. Le plus sérieusement du monde.
En vérité, les mareyeurs vendent le poisson de chaque marée, dit-elle. C’est ce qu’on dit dans les dictionnaires. Mais peu importe, tu vois. Les pêcheurs mentent, les dicos mentent. Ces nouveaux mareyeurs n’ont rien à vendre, rien du tout. Pas la moindre crevette, rien. Ils distribuent l’eau, l’eau simplement. L’eau dans les ports, l’eau dans la mer, l’eau contre les rochers des falaises. L’eau partout comme s’il en pleuvait des tonnes. Tu peux compter sur les mareyeurs, me dit-elle. Ils condensent, pleuvent, érodent. Et c’est déjà ça. Les arrêter serait aussi stupide, aussi vain, aussi cruel que de faire exploser la lune pour dégager le ciel.

Dans une collection (Babel) qui offre régulièrement certaines des meilleures « quatrièmes de couverture » de la profession, il faut méditer ces mots d’une immense justesse, que je ne saurais ici égaler :

Pour évoquer une existence à la dérive et les cauchemars inconsolés de la jeunesse, Sylvain Coher allie l’empathie bienveillante à un humour malicieux, âpre comme la réalité. Parfums, embruns et réminiscences sculptent le décor étrange de ce road-movie immobile à la troublante singularité, poétique et habité.

Pour acheter le livre chez Charybde, c’est ici.

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Sylvain Coher – Photo © Patrick Gherdoussi

À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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