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Notes de lecture 2016, Nouveautés

Note de lecture : « L’art du présent – Entretiens avec Fabienne Pascaud » (Ariane Mnouchkine)

Dix-huit précieux entretiens avec Ariane Mnouchkine, entre 2002 et 2015

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En 2005 paraissait chez Plon une première version de « L’art du présent », recueil de seize entretiens avec Ariane Mnouchkine conduits par Fabienne Pascaud entre 2002 et 2004. Complété et actualisé par deux rencontres en novembre 2015, une lettre et des remerciements d’Ariane Mnouchkine et divers « petits textes de circonstance », ce précieux recueil vient d’être réédité, ainsi augmenté, chez Babel.

Signalons d’emblée pour s’en débarrasser que si l’énorme majorité du contenu porte bien sur l’histoire du Théâtre du Soleil, les choix artistiques d’Ariane Mnouchkine et les mystères de la création théâtrale collective (sans être généralement aussi techniques que les belles études de Béatrice Picon-Vallin, comme son « Ariane Mnouchkine » de 2009), Fabienne Pascaud agace tout de même régulièrement son interlocutrice (et moi également, au passage) en tentant tous les deux ou trois entretiens d’aller ou de revenir vers des questions très « people » (départs d’actours ou d’actrices de la troupe, « crises », ruptures amicales et sentimentales) pour lesquelles le souci de comprendre l’aventure collective me semble tout de même avoir bon dos. Comme Ariane Mnouchkine le fait remarquer plusieurs fois avec un sens de l’humour atteignant presque ses limites : « Poseriez-vous une telle question à Peter Stein ? Ou à Peter Brook ? Ou à Peter Kekshaws ? »

En dehors de ces passages, heureusement brefs dans l’ensemble de 300 pages qui nous est proposé, la lectrice ou le lecteur pourra se délecter de la richesse du matériau qui touche aussi bien à l’histoire technique du Soleil, à l’émergence des pratiques, aux essais inlassables, aux quêtes de cohérence et d’émerveillement, au rôle des individus par rapport à celui du collectif, au rapport au public, qu’à la technique théâtrale proprement dite, au rapport à l’actualité et au politique, à la fréquentation des grands auteurs du passé, à la traduction (où l’on découvrira la relative proximité de certaines préoccupations d’Ariane Mnouchkine avec celles qu’expose André Markowicz dans ses « Partages, vol. 1 » ou « Partages, vol. 2 »), à la relation entre auteur et metteur en scène, ou encore à la manière de lutter contre le découragement occasionnel et de préserver l’enthousiasme vital.

– Et pour vous, la communauté de doute et d’interrogation lie davantage au public que toutes les certitudes…
– Oui. Aucune certitude. Voilà comment ça se passe : le public entre au Soleil, il est sûr de plein de choses, il est sûr d’avoir été dans un embouteillage, sûr qu’on l’a fait suer toute la journée au travail, sûr que la Cartoucherie est trop loin, le spectacle trop tôt, sûrement trop long, et les places, hélas, pas numérotées – ça, c’est notre petite stratégie pour essayer de le faire arriver à l’avance, et qu’il se prépare le mieux possible à notre fête ensemble -, il est sûr que les émigrés sont trop nombreux, qu’ils sont tous menteurs, avides, qu’ils n’en veulent qu’à notre Sécurité sociale. Ou bien, au contraire, il est sûr que tous, sans exception, sont des anges, de futurs militants de la solidarité internationale, des héros fraternels. De tout cela, nous avons été sûrs, nous aussi, avant le travail. Et deux heures et demie après, vous le voyez qui sort. Un peu vague. Il flotte. Il a le courage de ne plus être sûr de rien.

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Les Naufragés du Fol Espoir (2010)

La série d’entretiens est aussi une belle occasion de plonger informellement – et sans respect strict de la chronologie – dans l’histoire des spectacles mis en scène au Soleil, dans les intuitions et les désirs qui guident leur choix, qu’il s’agisse de revisiter gaillardement d’immenses classiques, d’Eschyle ou de Shakespeare, de construire des cathédrales issues entièrement de l’improvisation collective (le célèbre « L’Âge d’or » – dont la création même fut aussi immortalisée par les premiers spectacles de Philippe Caubère, justement, mais aussi par exemple, beaucoup plus récemment, « Les Éphémères »), ou de broder abondamment à partir d’indices ténus présents chez Jules Verne (« Les Naufragés du Fol Espoir »).

– Vous faites un théâtre politique ?
– Quand un spectacle parle vraiment du monde, si ceux qui y assistent se parlent à eux-mêmes et s’interrogent, alors, oui, c’est du théâtre politique.

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L’Âge d’Or (1975)

Une fois de plus, un ouvrage qui nous permet de pénétrer, même en partie, les mystères humbles et subtils de l’aventure du Soleil et d’Ariane Mnouchkine, n’est pas passionnant uniquement pour les amatrices et amateurs de technique théâtrale, d’art du jeu ou de la mise en scène, mais au moins autant pour celles et ceux que fascinent les aventures collectives, la manière dont les libertés et les égos de chacune et chacun fusionnent, en harmonie ou tant bien que mal, pour faire vivre un projet commun, toujours renouvelé, sachant développer les nécessaires routines d’efficacité comme les puissantes impulsions créatrices, sachant donner du sens au chaos et questionner inlassablement, comme le dirait depuis un tout autre angle Javier Cercas, nos propres points aveugles.

On monte souvent une pièce pour une seule scène. Je pense que j’ai voulu monter Richard II pour la scène de l’abdication. Après, j’ai été ravie par tout le reste.
– Qu’est-ce qui vous tentait dans cette scène ?
– Il arrive à tout être un moment douloureux où l’on n’est plus le roi de quelqu’un. Quand on choisit une pièce, ou plutôt qu’on est choisi par elle, il y a toujours un endroit secret où l’on raconte un petit bout de son histoire. L’important est que cela reste secret. Les mises en scène doivent raconter à chacun l’histoire de chacun. Les spectateurs, les acteurs, chacun y reconnaît un morceau de lui- même. De mon exil – parce qu’on est tous exilés de quelque part -, de vos chagrins d’amour, de nos séparations, de mes ridicules, de tes terreurs, ou de nos victoires. Mais si tout le monde voit l’instant où Ariane Mnouchkine parle d’elle, c’est raté !
Dans Henry IV, je me sentais très proche du pauvre Falstaff terrifié dans la grande scène de bataille.

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

Discussion

Une réflexion sur “Note de lecture : « L’art du présent – Entretiens avec Fabienne Pascaud » (Ariane Mnouchkine)

  1. Géniale metteuse en scène et grande dame

    Publié par L'Ornitho | 16 décembre 2016, 19:20

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