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Notes de lecture 2011

Note de lecture : « Chicago » (Alaa El Aswany)

Un livre étonnamment en phase avec la récente évolution égyptienne, quatre ans avant, et bien mis en valeur au théâtre par Jean-Louis Martinelli.

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Chicago

C’est en assistant ces derniers jours à une représentation de « J’aurais voulu être égyptien », la pièce de Jean-Louis Martinelli mise en scène aux Amandiers, et plutôt finement adaptée du roman « Chicago » de Alaa El Aswany, que j’ai réalisé – avec quatre ans de retard, donc – à quel point ce livre était prémonitoire du degré de tension, et bientôt de rupture, atteint en 2007 par le régime égyptien d’Hosni Moubarak.

En suivant les quelques protagonistes d’une communauté d’universitaires, exilés égyptiens plus ou moins volontaires, à Chicago, l’auteur, fort alors du succès mondial de son deuxième roman de 2002, « L’immeuble Yacoubian », peut dépeindre un pays, l’Égypte, où la corruption ordinaire et la violence politique, loin d’être larvée d’ailleurs (le terrible exposé sur l’efficacité en matière de torture conduit par le responsable de la police spéciale fait froid dans le dos), ont peu à peu façonné une société de faux-semblants, où l’obséquiosité le dispute à la lâcheté quotidienne…

Redoutable efficacité narrative, servie par une habile polyphonie, particulièrement bien rendue à la mise en scène avec le secours d’actrices et acteurs impressionnants (parmi lesquels on distinguera particulièrement Éric Caruso en Danana, Mounir Margoum en Nagui et Marie Denarnaud en Wendy).

Le docteur Saleh se leva et se dirigea lentement vers la tribune, la tête baissée afin de ne regarder personne. (…) Il allait lire le manifeste d’une voix forte, claire et rapide, de façon à pouvoir le terminer avant qu’on l’en empêche. Il aurait été naïf d’imaginer qu’on le laisserait parler jusqu’à la fin. Pendant quelques instants, ils allaient être frappés de stupéfaction, mais ils reprendraient rapidement leurs esprits et ne tarderaient pas à réagir. Qu’allaient-ils faire ? Il était exclu qu’ils tirent sur lui. Ils l’arrêteraient, le frapperaient et même le bâillonneraient de force (…). Tout cela ajouterait à leur opprobre. Ce qui se passerait ensuite ne lui importait pas. D’où lui venait cette force ? S’il l’avait eue trente ans plus tôt, sa vie aurait changé, lorsque Zeïneb lui avait dit : « Dommage que tu sois lâche ». Mais maintenant, il franchissait le dernier pas. Il allait faire face au président de la République et lire un manifeste en faveur du droit des Égyptiens à la démocratie et à la liberté. Il allait le faire devant le monde entier et les caméras transmettraient partout son image.

Une fable agressive, ironique, parfois comique, toujours pertinente, sur le sens du courage en politique, que l’on pourra étonnamment rapprocher de l’excellent « Hammerstein ou l’intransigeance » d’Enzensberger, et beaucoup plus ironiquement, du fameux « Don’t settle » de Steve Jobs, appliqué à la recherche du meilleur emploi possible par chacun (j’écris ceci le lendemain du décès du fondateur d’Apple).

Et on soulignera au passage s’il en était besoin l’ampleur et la qualité du travail d’Actes Sud dans la transmission du meilleur des littératures arabes contemporaines auprès du public français.

Ce qu’en dit BabelMed est ici, ce que dit de la pièce Delphine Minoui sur son blog Chroniques Orientales est , ce que dit magnifiquement Marie-Emmanuelle Galfré, dans La Terrasse, également de la pièce, est ici.

Pour acheter le livre chez Charybde, c’est ici.

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Alaa-al-Aswany-007

À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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