Une lumière dans la forêt, la nuit, comme le dernier fanal d’un monde qui s’effacerait.
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Publié en 2013, le huitième roman d’Antonio Moresco est le premier à être traduit en français, par Laurent Lombard, pour une parution chez Verdier en septembre 2014. Alternant depuis 1993 d’épais romans et de plus minces opuscules, l’auteur présentait celui-ci, à son éditeur italien, comme une « petite lune qui s’est détachée de la masse encore en fusion » de son prochain roman.
Je suis venu ici pour disparaître, dans ce hameau abandonné et désert dont je suis le seul habitant.
Le soleil vient tout juste de s’effacer derrière la ligne de crête. La lumière s’éteint. En ce moment, je suis assis à quelques mètres de ma petite maison, face à un abrupt végétal. Je regarde le monde sur le point d’être englouti par l’obscurité. Mon corps est immobile sur une chaise en fer dont les pieds s’enfoncent de plus en plus dans le sol, et pourtant, de temps en temps, j’ai le souffle coupé, comme si je chutais assis sur une balançoire aux cordes fixées en quelque endroit infiniment lointain de l’univers.
Hameaux abandonnés, progressivement désertés, villages semblant peu à peu se réduire à leur plus simple expression, nature darwinienne semblant reprendre, de ci de là, les droits que l’homme lui abandonne : c’est dans ce décor crépusculaire, inexpliqué, entre les secousses sismiques qui rythment irrégulièrement les jours et les nuits de cette région d’Italie, que le narrateur développe, tout en veillant à la solidité des murs de sa retraite et en observant longuement animaux et insectes, une curieuse songerie à la fois existentielle et bucolique, songerie qui se voit heurtée, puis obsédée, par une étrange petite lumière apparaissant au loin, tous les soirs, à heure fixe.
« Qu’est-ce que ça peut bien être, cette petite lumière ? Qui peut bien l’allumer ? », je me demande tout en marchant dans les rues empierrées de ce petit hameau où personne n’est resté. « Est-ce que c’est une lumière qui filtre d’une petite maison solitaire dans les bois ? Est-ce que c’est la lumière d’un réverbère resté là-haut, dans un autre hameau inhabité comme celui-ci, mais de toute évidence encore relié au réseau électrique, qu’une simple impulsion allume toujours à la même heure ? »
On n’entend que le bruit de mes pas qui résonnent dans les ruelles, j’aperçois les marches de pierre d’un petit escalier sur le point de s’effondrer, la porte enfoncée d’une étable, les restes de toits en ardoise écroulés et recouverts de plantes grimpantes, d’où jaillissent les cimes de figuiers ou de lauriers poussés entre les gravats, deux abreuvoirs en pierre remplis d’eau, des portails à la peinture éblouissante et craquelée.
Enquêtant sur cette intrigante petite lumière dans la forêt, sur la colline, le narrateur bascule insensiblement de l’attente crépusculaire informulée dans un conte étonnant, qui n’a que bien peu à voir – comme cela fut évoqué, plutôt abusivement, par certains critiques – avec « Le petit prince » de Saint-Exupéry, même si, en effet, un garçonnet en culottes courtes y joue un rôle essentiel, conte de la forêt et de la nuit, conte de la fin des temps, par lequel le narrateur semble in fine parvenir à résoudre l’équation personnelle dont il ne nous avait jamais, lecteurs, fait réellement part.
Antonio Moresco déploie ici une magie des mots et du récit, aux airs extrêmement pensifs et intimistes, qui fait pourtant sentir, dans un arrière-plan aussi écrasant que peu évoqué directement, toute l’angoisse d’une fin inexorable même si non identifiée.
« Pourquoi il y a tout ce sous-bois mauvais ?, je me demande. Qui essaie d’envelopper et d’effacer et d’étouffer les arbres plus grands. Pourquoi toute cette férocité misérable et désespérée qui défigure toute chose ? Pourquoi tout ce grouillement de corps qui tentent d’épuiser les autres corps en aspirant leur sève de leurs mille et mille racines déchaînées et de leurs petites ventouses forcenées pour détourner vers eux la puissance chimique, pour créer de nouveaux fronts végétaux capables de tout anéantir, de tout massacrer ? Où je peux bien aller pour ne plus voir ce carnage, cette irréparable et aveugle torsion qu’on a appelée vie ? »
Ce qu’en dit ma collègue et amie Charybde 7 est ici.
Pour acheter le livre chez Charybde, c’est ici. Il faut par ailleurs se réjouir de pouvoir rencontrer Antonio Moresco à la librairie Charybde (129 rue de Charenton 75012 Paris), ce samedi 4 octobre 2014 à 18 h 00.
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