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Notes de lecture 2015

Note de lecture : « Vostok – Le dernier secret de l’Antarctique » (Jean-Robert Petit)

Les presque 60 ans d’histoire de la plus inaccessible des bases de l’Antarctique.

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Vostok

Publié en 2012 aux éditions Paulsen, cet ouvrage abondamment illustré du glaciologue et géophysicien français Jean-Robert Petit retrace en détail l’histoire de la station antarctique soviétique (puis russe) Vostok, née presque par accident de l’atmosphère de coopération et de compétition scientifique, dans l’ambiance de la Guerre Froide, à laquelle l’Antarctique devait absolument faire exception.

En 1955, la commission spéciale mise en place pour la préparation de l’AGI se réunit à Paris. Les représentants de 77 nations sont tous là. Ou presque. À cause d’une sombre histoire de visas, les représentants soviétiques ont en effet été retenus lors de la première journée de travail, celle au cours de laquelle l’implantation des futures bases est décidée. Les Américains choisissent d’emblée de s’installer au pôle Sud géographique, le plus convoité. Forts des expéditions menées dès 1949 qui confirment leur possession de la Terre Adélie et de leurs hivernages en 1950 et 1951 à Port-Martin, les Français s’assignent le voisinage du pôle Sud magnétique. À l’arrivée tardive de ses représentants, quels pôles restait-il à l’URSS ? Si l’incident du premier jour n’a pas troublé l’esprit de coopération scientifique, l’Année Géophysique Internationale doit pourtant être marquée pour ce pays du sceau d’une conquête remarquable. Même en Antarctique, la bonne entente n’implique pas l’absence de compétition… Alors, on cherche un autre site qui représenterait un défi à la mesure du géant soviétique. Qu’à cela ne tienne – l’URSS en a les ressources -, ce n’est pas un mais deux pôles qui sont choisis : le pôle Sud géomagnétique et le pôle « d’inaccessibilité relative » !

Au-delà du récit de cette aventure humaine magnifiquement racontée, reprenant les témoignages écrits des protagonistes historiques, tels le géographe et océanographe Alexeï Trechnikov (« Bordé de glace », 1959) ou l’astronome et magnétologiste Veniamin Ignatov (« Un an au pôle Sud », 1960), sur le défi que représenta en effet la création et l’entretien de la base la plus éloignée de tout et la plus froide du continent blanc, Jean-Robert Petit nous fait joliment entrer dans ce petit monde de pionniers, mélange étonnant de science et d’aventure, férus de mécanique robuste et de géographie de l’extrême, préfigurant à un âge encore quelque peu héroïque les organisations contemporaines dont la BD photographique « La lune est blanche » d’Emmanuel Lepage nous offre par ailleurs un si incisif aperçu.

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Qui sait quelle sera l’altitude de Vostok ? Trechnikov profite de la moindre occasion pour compulser L’Homme et la Terre d’Élisée Reclus, en quête d’informations sur l’acclimatation de l’homme à la haute altitude. À l’occasion de ses déplacements vers l’intérieur du continent, il en a fait l’amère expérience : des troubles apparaissent au bout de quelques heures, maux de tête, respiration difficile, nausées, saignements de nez et parfois crachements de sang. Mais les efforts physiques aggravent encore ces symptômes : augmentation brutale du pouls et du rythme respiratoire qui redeviennent normaux après cinq minutes de repos. Fatigue, insomnies, sensations d’étouffement, manque d’appétit, tous ceux qui sont passés par Vostok-I [la première base-étape constituée sur le chemin de la création de Vostok-II, la « véritable » Vostok] connaissent le « mal des montagnes ».

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Le centre de l’ouvrage est toutefois organisé autour de deux activités majeures qui marquèrent l’histoire de la station et firent sa célébrité mondiale. D’une part, l’invention au quotidien du carottage glaciaire à (très) grande profondeur, les techniciens soviétiques (puis russes) dépassant alors les records établis par les Américains au Groenland puis en Antarctique (avec 2 138 m à Byrd en 1972), atteignant à Vostok les  2 082 m en 1982 pour finir par le plus profond forage glaciaire jamais réalisé, à 3 623 m en 1998. D’autre part, et peut-être surtout, l’exploitation de ces extraordinaires témoignages du passé lointain par les glaciologues français associés à l’effort (et ayant développé par eux-mêmes les forages à Dôme C, qui conduiront plus tard à la station franco-italienne Concordia), révolutionnant de fond en comble la paléoclimatologie en extrayant 400 000 ans de climat terrestre de ces longs tubes de glace, et fondant de fait l’interprétation moderne du réchauffement climatique, et apportant la première preuve scientifique tangible de la responsabilité de l’homme dans le phénomène en cours.

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Sur place, Jean-Robert Petit a retrouvé Lipenkov. Quelques semaines plus tôt, les foreurs de 4G-2 ont atteint 2 413 mètres : le record de profondeur de 3G-1, établi en 1985, a été battu de 200 mètres ! Et que dire de l’âge que les carottes extraites peuvent présenter, peut-être 200 000 ou 250 000 ans BP, voire plus ! La fièvre de la glace gagne les glaciologues. Ils ne se font pas prier pour se mettre au travail, sauf que dans l’atelier de fortune monté près de la cave de stockage et censé être à l’abri, les conditions sont précaires. Quand le vent s’invite, glisser les cylindres de glace dans les gaines plastiques, sceller ces dernières et les numéroter – sans gants, bien sûr – devient un vrai supplice. À la fin de la saison, Ciais résumera la glaciologie au fait de « mettre un machin dans un autre machin » ! Mais une fois de plus, l’enjeu motive les glaciologues : il leur faut retrouver les cylindres de glace correspondant aux transitions climatiques, cet intervalle de temps de 5 000 à 7 000 ans durant lequel le climat passe d’un état glaciaire froid à un état interglaciaire chaud. Leur étude devrait permettre d’envisager les scenarii climatiques.

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Si la dernière partie de l’ouvrage se focalise sur la découverte, puis sur l’accès, du lac Vostok, plus grand réservoir subglaciaire au monde, situé à presque 4 000 m sous la glace antarctique (et ayant conduit au titre « Le dernier secret »), c’est peut-être encore davantage la description des pratiques de la science contemporaine de l’extrême, avec ses creux et ses bosses, qui est ici la plus spectaculaire. Entre échanges de données et de services, emprunts à la limite du brigandage (qui font écho au récit amusé et amusant de James Dewey Watson, avant qu’il ne sombre dans divers délires racistes et homophobiques à partir de 2007, « La double hélice », à propos de la découverte de l’ADN), incessantes négociations logistiques et politiques, c’est tout l’univers si prégnant chez le grand Kim Stanley Robinson, que ce soit dans « SOS Antarctica » ou dans la « Trilogie climatique », qui prend ici une autre chair bien réelle, et fait de ce témoignage parfois exagérément lyrique un ouvrage précieux (en plus de la vulgarisation scientifique de haute tenue qu’il accomplit, bien entendu).

Pourtant, voler en Antarctique est loin d’être une évidence. Par – 60°C, les avions ont du mal à décoller, les skis dont ils sont équipés étant littéralement collés à la neige par l’effet du gel : il faut alors allumer un feu, faire brûler des chiffons pour déglacer les skis et parvenir à s’arracher du sol. Sans parler des moteurs que les pilotes préfèrent laisser tourner par crainte que l’huile ne fige. Mais l’aviation aura incontestablement révolutionné l’exploration de l’Antarctique. Sans ces appareils énormes, transportés par bateau en pièces détachées depuis Kaliningrad – où ils sont fabriqués – jusqu’à Mirny, Vostok n’aurait sans doute jamais vu le jour. En s’installant au pôle Sud géomagnétique, les Soviétiques ont repoussé les limites dans l’exploration du continent.

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

Discussion

7 réflexions sur “Note de lecture : « Vostok – Le dernier secret de l’Antarctique » (Jean-Robert Petit)

  1. c’est surement beau
    mais encore plus beau (et vrai de chez vrai)
    le film « Enterrés volontaires au coeur de l’Antractique » de TAHI Djamel qui raconte l’année passée par trois (encore jeunes) volontaires (Claude Lorius, Roland Schlich et Jacques Dubois) qui ont passé un an en 57 à la station Charcot dans une vingtaine de mètres carrés à 300 km de la plus proche station
    mémorable histoire d’un jambon cru apporte par une équipe de secours dont au matin il ne restait que l’os
    une expérience humaine remarquable (il faut entendre R Schlich le raconter)

    pour vous donner une idée :
    réunion scientifique a Nancy il y a qq années
    amphi plein (des professionnels)
    j’avais suscité la projection
    à la fin standing ovation de tout le public (un très grand moment d’émotion)

    cela vaut de très loin le film récent de Luc Jacquet, « La glace et le ciel » qui met en scène claude Lorius (et l’avenir de la planète)

    de très grands bonshommes (et surtout humains)
    cela me fait plaisir de commencer cette année par cet hommage
    jl

    Publié par jlv.livres | 2 janvier 2016, 19:46
  2. J’ai lu ce livre, « Vostok, le dernier secret de l’Antarctique » après avoir rencontré M. Petit dans le cadre d’un ciné-débat autour du film de Luc Jacquet La glace et le ciel. J’ai beaucoup appréciée cet ouvrage, qui se lie comme une épopée, avec ce qu’il faut de contenu historique mais aussi de suspens au fil des chapitres. Les aspects humains sont très intéressants (par exemple les points de vue différenciés selon les nationalités, ou bien encore selon les corps de métiers…) sans parler des liens qui unissent ces aventuriers et chercheurs dans des conditions de vie extrêmes. Le point de vue de l’auteur, qui fait sans vouloir le faire, le bilan de sa carrière professionnelle est touchant. Les éléments d’ordre scientifique ne sont pas rebutants pour le quidam. Il manque cependant à mon goût quelques cartes illustratives. Les vers de Lamartine en exergue du livre donnent le ton, ainsi que la préface du (toujours brillant) Michel Rocard.

    Publié par BLEIN Rosine | 10 janvier 2016, 17:07

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