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Notes de lecture 2012

Note de lecture : « La capitana » (Elsa Osorio)

Une figure exceptionnelle de militante et de combattante de la guerre d’Espagne. Un grand roman.

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Neuvième œuvre publiée de l’Argentine Elsa Osorio, ce roman de 2012 (publié en français en ce mois de septembre 2012 également, traduit par Françoise Gaudry chez Métailié) « hantait » l’auteure depuis plusieurs années, de son aveu même.

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Fascinée par la vie de Mika Etchebéhère, militante internationale ayant connu une vie longue et riche en actions et en rencontres, et qui fut notamment commandant d’unité au front durant la guerre d’Espagne, Elsa Osorio a pu interroger de nombreux survivants proches et consulter finalement des carnets abondants en notations détaillées sur les événements vécus de 1925 à 1985, ce qui « déclencha » enfin le roman qu’elle « portait » ainsi depuis plusieurs années.

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À partir de cette figure exceptionnelle de militante, d’intellectuelle tournée vers l’action et de femme, Elsa Osorio a su aller « plus loin », en un sens, que le magnifique « Le bref été de l’anarchie » d’Hans Magnus Enzensberger (qui, en 1972, usait d’une méthode similaire pour raconter la vie de Buenaventura Durruti et les tribulations des anarchistes durant cette même guerre d’Espagne), car elle a travaillé avec force son matériau historique brut pour en extraire de la chaleur et de l’intime, et pour développer une narration proprement romanesque, bien que très fidèle aux sources, en usant habilement de divers procédés de flashback et de flash-forward, ainsi que de régulières adresses directes de la romancière à l’héroïne, aux effets très heureux. De même, si le terrible épisode vécu, à Berlin, de la prise de pouvoir par les nazis résonne avec l’exceptionnel travail de terrain accompli par un Daniel Guérin en 1932-1933 (« La peste brune »), la manière dont il est « installé » dans la narration relève du grand art de romancier.

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Il en ressort un grand roman, fascinant d’émotion et d’intelligence, dont l’intense ancrage historique dépasse toutefois de très loin la seule guerre d’Espagne pour embrasser la volonté de contribuer à changer le monde, et la manière dont l’intime et le personnel peuvent se conjuguer, avec enthousiasme, à l’universel et à l’engagement. Chaleureusement recommandé, donc.

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« Quelqu’un la secouait pour la réveiller, elle résistait, gardait les yeux obstinément fermés. Mais l’homme insista.
– Pourquoi tu me réveilles ? Qu’est-ce qui se passe ?
– J’ai fait une heure de garde en plus. Pablo, ma relève, dort encore, il ne veut rien savoir, il ne bouge pas. Il est vraiment gonflé, il en profite, il faut que tu le réveilles.
Avec la même rage qui l’avait extraite de son lit
, elle se planta devant le matelas de Pablo et lui hurla dessus : Pablo ! Pablo ! L’homme tenta de faire la sourde oreille en se tournant de côté, mais elle lui empoigna les cheveux de la main gauche et de la droite le gifla plusieurs fois. Il la regarda, éberlué. Mika avait aussi peur que lui, ou plus, elle ne comprenait pas de quelle source obscure avait jailli une telle violence. Il va me casser la gueule et je le mérite, pensa-t-elle en lui lâchant les cheveux. Mais non. Pablo prit simplement le fusil que lui tendait son camarade et rejoignit son poste de garde.
Merci, camarade, dit à Mika le milicien qui l’avait arrachée au sommeil pour pouvoir dormir à son tour. C’était ce qu’il attendait de Mika : de l’autorité. »

Le photographe Patrick Imbert réalise régulièrement des polaroïds particulièrement intenses des auteurs qu’il est amené à croiser.

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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