1370, atelier laïque de copie et grand gibet de Montfaucon, dans une langue minutieuse et savoureuse.
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Publié en ce début 2013 chez Verdier, le troisième texte de Michel Jullien peut désarçonner, voire légèrement agacer par moments, mais s’impose in fine comme un bien beau moment d’écriture.
C’est à une immersion intégrale dans une tranche de vie parisienne de 1370 que nous sommes conviés, en suivant Raoulet, artisan copiste tenant le haut du pavé, à l’atelier duquel le roi Charles V le Sage vient de confier la réalisation de deux volumes, une traduction de la « Politique » d’Aristote, et la mise à jour des « Chroniques royales » (précieux manuscrit aujourd’hui pieusement conservé à la BNF).
C’est donc l’occasion de plonger avec volupté dans ce monde ignoré, celui de l’univers laïque du manuscrit, avec tous ces professionnels gravitant autour de la mission de la propagation de l’écrit, support du savoir, à quelques années de l’arrivée de l’imprimerie.
Loin de l’atmosphère monacale des ateliers religieux consacrés par l’imagerie du Moyen-Âge, Raoulet est un bon vivant, qui, tout en montrant un dévouement sans bornes à son métier, n’aime rien tant que se promener, rencontrer ses confrères, clients, intermédiaires et fournisseurs, arpentant le pavé (encore peu répandu d’ailleurs) parisien, d’estaminet en estaminet, pour finir souvent dans les tavernes hors enceinte de l’immense, monumental, gibet de Montfaucon, qui joue bien un rôle essentiel à la fois dans le paysage et dans l’intrigue quasiment policière qui va se développer sous nos yeux, d’abord comme incidemment, autour des enjeux cruciaux de la reproduction illicite de manuscrits…
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Le travail d’immersion par le détail du vocabulaire, authentiquement recherché ou réinventé, est sidérant, et au premier abord, presque exagéré, d’autant que les quelques sauts métaphoriques tout à fait contemporains et les quelques maniérismes dans les comparaisons (avec d’obscurs jazzmen, par exemple) frôlent parfois l’accident d’écriture dans les 100 premières pages. Mais la constance et la qualité du propos, l’humour implicite des personnages et des situations, le sérieux de la reconstitution, parviennent à s’imposer face aux réticences éventuelles, pour ne laisser que le charme indéniable de cette histoire autre et pourtant si familière. L’apothéose finale, qui viendra comme boucler le cycle et justifier la surprenante introduction, en est un témoignage magnifique.
« Pour d’autres visées – compilation de génie civil -, l’opuscule servit encore Viollet-le-Duc, duquel il puisa l’essentiel de la trame afin de mettre au point, à la lettre F, entre « Four » et « Frise » de son Dictionnaire de l’architecture, l’entrée « Fourches patibulaires ». »
« Retour à Montfaucon, parfois, Raoulet revit ce bagage aux allures de punching-ball, l’oeil fier, son gros secret, son rébus d’écrivain suspendu à l’empyrée de son casier particulier. Un jour prochain il y pensait, la besace ne serait plus, remplacée par un pendu flambant. Un jour bientôt mais comment s’en douter, à la veille de se perdre, le codex ne serait plus. Viendrait le livre, sa machinerie, l’imprimé, ses âges jusqu’à l’abus, son temps d’intérim puis d’autres suppléances après lui. »
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