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Notes de lecture 2013

Note de lecture : « La belle amour humaine » (Lyonel Trouillot)

L’écriture poétique de Trouillot au service d’une radicale bienveillance. Magnifique.

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la belle amour

Publié en 2011, le septième roman de Lyonel Trouillot est à la fois celui d’une consécration internationale, avec plusieurs grands prix francophones, et celui qui peut pour la première fois, paradoxalement, faire figure de manifeste d’une certaine position politique, sociale, et humaine. Il s’agit toutefois d’un manifeste jouissivement madré, car à aucun moment ne filtre le moindre didactisme ou la moindre tonalité d’essayiste infiltré dans la narration.

La mise en scène repose ici tout entière ou presque sur un chauffeur-guide haïtien, convoyant vers son village perdu en bord de mer une jeune Occidentale, dont le père disparu prit jadis la fuite, après qu’un mystérieux incendie y ait consumé les maisons de son grand-père, richissime homme d’affaires haïtien, et de son meilleur ami, colonel retraité de la police politique, réduisant le bois comme les deux occupants à l’état de cendres…

C’est le récit (ou plutôt les récits, car les apparentes digressions, en réalité redoutablement cohérentes, y sont nombreuses) du guide qui livre comme sans y penser les éléments du mystère. Et l’intrigue n’a pas en réalité besoin d’être résolue, après qu’un des meilleurs limiers de Port-au-Prince, dépêché en urgence, à l’époque, par les autorités, ait échoué : qui a pu, crime ou accident, éliminer les deux monstres ordinaires, produits emblématiques de l’étroite association du pouvoir politique corrompu et du capitalisme avide dans toutes leurs splendeurs respectives ? Si le chauffeur présente, au fil des kilomètres de ce trajet en voiture, la belle galerie des personnages du village, spontanément ou en réponse aux quelques questions de la voyageuse (qui écoute beaucoup et parle fort peu), il ne répondra pas. Ce n’est pas nécessaire.

Dans une langue tour à tour colorée et extrêmement poétique, Lyonel Trouillot laisse la vie répondre, formulant par images d’une rare force une sorte de théorie de la « bienveillance radicale », possible rempart humain d’une grande gentillesse et d’une rare agressivité, simultanément, face au mal qui ronge à loisir les existences.

la belle amour 2

Au passage, et comme par inadvertance calculée, Lyonel Trouillot fournit une formidable leçon (mais attention, ne prenant jamais justement l’allure pesante d’une leçon classique) à destination du visiteur d’un pays pauvre, sur l’écoute, sur les idées reçues, sur le comportement… Précieux pour tout voyageur conscient, qui devrait sans doute à l’issue soumettre sa propre pratique à certaines introspections…

Livre magnifique et lecture quasiment indispensable pour saisir un espoir de maintenir ou retrouver une juste beauté du monde.

« L’autre chose qu’il faut que tu saches : il y a sept heures de route entre le bruit et le silence. Entre ici et Anse-à-Fôleur. J’imagine que chez toi aussi les villes se suivent et ne se ressemblent pas. Il est des villes qui aboient et d’autres qui chuchotent. Il est des villes qui sourient et d’autres qui font la gueule. Des qui se peinturlurent comme une fille condamnée à faire le trottoir se déguise chaque soir pour partir au combat. Et d’autres qui ne montrent rien, ne vendent rien, ne font pas dans le show off ni dans la devanture, mais sourient sans forcer quand passe un visiteur. Ma ville sur mer, elle est comme ça. Ma vraie ville, c’est ici. J’y suis né et je connais ses bruits par cœur. Ses recoins. Ses désastres. Mais là-bas, c’est ma ville aussi. Enfin, mon village. J’y ai planté mes rêves. Et la terre qui t’appartient, c’est celle où tu plantes tes rêves. »

Une jolie chronique de BibliOrnitho peut être consultée ici, et Christine Rousseau dit aussi des choses très intéressantes dans le Monde des Livres, .

Pour acheter le livre chez Charybde, c’est ici.

À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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