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Notes de lecture 2011

Note de lecture : « Œdipe sur la route » (Henry Bauchau)

Le plaisir et le talent d’une lecture poétique d’un intense épisode de la mythologie grecque.

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Recommandé avec un enthousiasme déterminé par mon collègue et ami Charybde 3, « Œdipe sur la route » est un chef d’œuvre. Déjà grand amateur de Bauchau (et notamment de son « Régiment noir » et de son « Boulevard périphérique »), je ne connaissais jusqu’ici sa veine mythologique qu’à travers son théâtre : sa prose dans le domaine est exceptionnelle. Ce roman de 1990, qui sera suivi d’un « Diotime » et d’un « Antigone », s’appuie bien entendu largement sur les récits classiques du mythe, tout particulièrement l’ « Œdipe à Colone » de Sophocle, mais n’hésite pas à les subvertir profondément pour en tirer un récit original et fort, retraçant les pas d’Œdipe aveugle, exilé, entre Thèbes et Colone, en compagnie de sa fille Antigone et d’amis improbables rencontrés sur le chemin…

« Ismène lui a donné une gourde qu’elle a attachée à sa ceinture, Antigone, un bâton. Il le soupèse de la main, reconnaît avec plaisir un contact familier. C’est le bois de sa lancé préférée. Il pense : « C’est le cadeau d’adieu de mes fils. » Il oublie qu’Antigone manie, comme les garçons, la pique et la lance et qu’elle connaît toutes ses armes. »

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« Elle se demande s’il dort, elle entend qu’il dit à voix basse, comme s’il en éprouvait un peu de honte : « Antigone, je suis content que tu sois là. » Elle ressent aussi, à sa dimension, pense-t-elle, un sentiment de gloire. Elle entend son souffle régulier, il s’est endormi de son profond sommeil de marin. Pourquoi de marin ? De très loin remonte une parole très ancienne de sa mère : « Il ne faut pas oublier, ma chérie, que ton père est avant tout un marin. » Oui, Jocaste pouvait dire cela, mais comment est-ce que je puis le comprendre, moi, petite terrienne de Thèbes qui n’ai jamais été sur la mer ? »

« Ils marchent tous les trois chaque jour en direction de la mer, chaque soir Antigone les quitte pour mendier et chercher un abri pour la nuit. Quand elle est partie, Clios allume le feu, soigne Œdipe et, après le repas, reprend son récit où il l’a laissé la veille. Œdipe l’écoute sans l’interrompre, sans rien dire, avec une attention extrême. C’est grâce à cette attention que Clios trouve le courage de retourner vers ces lieux, les plus sombres, les plus lumineux, les plus engloutis de sa vie car, s’il y revenait seul, il n’y découvrirait plus que des ruines. »

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Un texte d’une tranquille beauté, d’une incroyable mélancolie pourtant vivifiante. Un texte capable de faire venir aux yeux des larmes d’émotion, dans plusieurs registres, tout au long de ses 400 pages. Une immense réussite.

Un opéra en quatre actes, adapté du roman, a été créé en 2003 au théâtre de la Monnaie à Bruxelles par Pierre Bartholomée.

La photographie d’Henry Bauchau qui illustre cet article appartient au Fonds Henry Bauchau.

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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