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Notes de lecture 2014

Note de lecture : « Qu’est-ce qu’un dispositif ? » (Giorgio Agamben)

Une notion-clé chez Foucault déchiffrée par Agamben.

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Dispositif

Publié en 2006, traduit en 2007 par Martin Rueff chez Payot / Rivages, ce bref essai du philosophe italien Giorgio Agamben propose une interprétation et une actualisation possibles du concept de « dispositif » chez Michel Foucault, commençant par une rapide mais efficace généalogie du concept chez l’auteur de « L’archéologie du savoir » (en 1969, il y utilise « positivité », sous l’influence vraisemblable de son maître Jean Hyppolite, pour évoquer ce qui deviendra un terme à part entière à partir de 1977).

En philosophie, les questions terminologiques sont importantes. Comme l’a dit un philosophe pour lequel j’ai le plus grand respect, la terminologie est le moment poétique de la pensée. Cela ne signifie pas que les philosophes soient obligés de définir à chaque fois les termes techniques qu’ils emploient. Platon n’a jamais défini le terme le plus important de sa philosophie : idée. D’autres, comme Spinoza et Leibniz, ont préféré définir more geometrico leur terminologie. Mon hypothèse est que le mot « dispositif » est un terme décisif dans la stratégie de pensée de Foucault.

Poursuivant son approche généalogique hors des travaux de Foucault lui-même, et risquant plusieurs hypothèses captivantes, Agamben effectue, ce qui ne surprendra guère les familiers de ses travaux, un détour par la théologie, et plus particulièrement par la généalogie théologique de l’économie et du gouvernement, revenant sur le rôle décisif du terme d’oikonomia au sein de l’église des IIème-VIème siècles, utilisé principalement pour imposer le dogme trinitaire face à ses puissants détracteurs de l’époque, mais léguant en héritage une dichotomie qu’Agamben n’hésite pas à qualifier de schizophrénie.

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Dispositivo

Les théologiens s’habituèrent peu à peu à distinguer un « discours (logos) de la théologie » d’un « logos de l’économie ». L’oikonomia devint le dispositif par lequel le dogme trinitaire et l’idée d’un gouvernement divin providentiel du monde furent introduits dans la foi chrétienne. Pourtant, comme on pouvait s’y attendre, la fracture que les théologiens avaient tenté d’éviter et de refouler en Dieu sur le plan de l’être, devait réapparaître sous la forme d’une césure qui sépare en Dieu être et action, ontologie et praxis. L’action (l’économie, mais aussi la politique) n’a aucun fondement dans l’être : telle est la schizophrénie que l’oikonomia a laissée en héritage à la culture occidentale.

L’analyse continue dans une tonalité qui frôle parfois celle du Günther Anders de « L’obsolescence de l’homme », pour évoquer la prolifération contemporaine des dispositifs et les stratégies de corps-à-corps avec eux que l’humain peut être amené à développer désormais, pour parvenir in fine à caractériser les dispositifs contemporains par leurs propriétés d’interaction et de captation.

Il y a donc deux classes : les êtres vivants (ou les substances) et les dispositifs. Entre les deux, comme tiers, les sujets. J’appelle sujet ce qui résulte de la relation, et pour ainsi dire, du corps à corps entre les vivants et les dispositifs. Naturellement, comme dans l’ancienne métaphysique, les substances et les sujets peuvent se confondre, mais pas complètement. Par exemple, un même individu, une même substance, peuvent être le lieu de plusieurs processus de subjectivation : l’utilisateur de téléphones portables, l’internaute, l’auteur de récits, le passionné de tango, l’altermondialiste, etc. Au développement infini des dispositifs de notre temps correspond un développement tout aussi infini des processus de subjectivation. Cette situation pourrait donner l’impression que la catégorie de la subjectivité propre à notre temps est en train de vaciller et de perdre sa consistance, mais si l’on veut être précis, il s’agit moins d’une disparition ou d’un dépassement, que d’un processus de dissémination qui pousse à l’extrême la dimension de mascarade qui n’a cessé d’accompagner toute identité personnelle.

En cinquante pages, une approche passionnante et prometteuse d’une notion philosophique dont la pertinence, à la croisée d’une métaphysique du présent et d’une politique en devenir, semble se développer toujours davantage depuis les années 1980.

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agamben01g

À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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