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Je me souviens

Je me souviens de : « Tempête rouge » (Tom Clancy)

Peut-être le meilleur et le plus fouillé des thrillers jamais écrits sur une guerre entre OTAN et Union Soviétique.

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Publié en 1986, traduit en français en 1987 chez Albin Michel par France-Marie Watkins, le deuxième roman de Tom Clancy, que j’ai lu trois ou quatre fois à divers moments entre 1987 et 2000, en gros (certaines lectrices ou lecteurs de ce blog auront sans doute remarqué que le fait militaire d’une part et la marine d’autre part m’intéressent par moments), me renvoie notamment à mes 18 mois de service militaire, dans la Marine Nationale, et à la fièvre qui saisit alors un bon nombre de professionnels autour de moi, déjà ébranlés par « À la poursuite d’Octobre Rouge » deux ans plus tôt, impressionnés par le talent de cet auteur de « techno-thrillers », alors débutant – avec ses à peine 40 ans -, pour saisir la complexité de la guerre moderne et pour en offrir une scénarisation passionnante et fort crédible jusque dans ses détails, pour les initiés comme pour les moins initiés.

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Si, bien avant « Tempête rouge », il y avait eu de nombreuses tentatives, tout au long de la guerre froide, de proposer une fictionnalisation de la troisième guerre mondiale, il faut reconnaître que fort peu avaient réussi à concilier la technicité, l’intrigue, la spéculation et la lisibilité globale. Si l’on sort de nos souvenirs les différents romans se préoccupant avant tout des mécanismes d’escalade nucléaire et des holocaustes qui s’ensuivent (dont le « 120 minutes pour sauver le monde » de Peter George en 1958, qui servit de base au « Dr. Folamour » de Stanley Kubrick), ou bien « Les minutes de l’heure H » de William Prochnau en 1983), le combat conventionnel fut longtemps un véritable parent pauvre, à l’image de l’emblématique travail du général britannique Sir John Hackett, « La troisième guerre mondiale », publié en 1978, au fond davantage essai politique déguisé que roman militaire technique, dont le caractère spéculatif restait de facto très limité.

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Il est presque ironique, mais peut-être logique, que le plus abouti – de loin – de tous ces romans ait vu le jour à peine cinq ans avant la chute du mur de Berlin. Rappelons au passage que un an après cette parution, Harold Coyle (alors major dans l’US Army) publiait son « Team Yankee » (non traduit en français), fine mise en scène du quotidien d’un escadron de chars américains Abrams en Allemagne durant une offensive ennemie, et qu’en 1989 encore, Ralph Peters publiait l’excellent « Red Army » (non traduit en français) proposant une fictionnalisation d’une offensive du Pacte de Varsovie en Allemagne, entièrement traitée du point de vue d’unités de tankistes soviétiques. Il est encore plus ironique de constater que c’est après la « fin officielle » de la guerre froide que les très nombreux imitateurs de « Tempête rouge » pulluleront, pour le meilleur et pour le pire.

Je n’insisterai pas vraiment sur le scénario lui-même, même si l’on peut noter que Tom Clancy a réellement travaillé ses conditions initiales, pour justifier la mise en scène d’un conflit se « limitant » au théâtre d’opérations ouest-européen et demeurant conventionnel (sans armes nucléaires, mais aussi sans armes chimiques), que son utilisation comme déclencheur d’un commando-suicide islamiste s’en prenant au plus grand complexe pétrochimique soviétique résonne étrangement, près de 30 ans après la parution, et que – capitalisant sur la technique développée dans « À la poursuite d’Octobre Rouge », qui atteindra son apogée avec les volumes suivants de la série Jack Ryan, dont « Tempête rouge » ne fait PAS partie – il manie avec brio les entrelacements entre préoccupations personnelles de ses personnages et implications dans l’action d’ensemble, quelle que soit leur position hiérarchique.

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Il faut en revanche noter l’implication très forte dans ce roman de Larry Bond (qui, bien que ne figurant pas sur la couverture, pour des raisons restées mystérieuses, sera abondamment crédité dès la première édition et par la suite), ami et mentor de Tom Clancy en matière de guerre navale, dont le wargame tactique « Harpoon » (avant de devenir un jeu informatique célèbre à son tour) fut effectivement utilisé par les deux compères, assistés de quelques autres joueurs, pour tester la crédibilité et le déroulement de certains engagements aéronavals essentiels au cours du scénario (tout particulièrement pour tout ce qui concerne l’Islande et le premier choc entre groupe aéronaval allié et aviation soviétique à longue portée). C’est d’ailleurs à la suite de cette collaboration fructueuse que l’auteur de jeux publiera à son tour avec succès quelques romans d’une facture similaire, dont le remarquable « Red Phoenix » (1990).

Grand lecteur des revues spécialisées « Proceedings » et « Naval War College Review », Tom Clancy, dès son roman précédent, avait rencontré de nombreux militaires américains, marins bien entendu, mais aussi aviateurs, et même peu à peu membres de l’US Army ou de l’US Marine Corps – et même, dit-on, quelques militaires britanniques et français, afin de tester et discuter, dans les limites autorisées par la confidentialité, la vérisimilitude de ses options et de ses constructions romanesques. C’est ce socle d’une rare solidité, associé à un véritable talent – pas si fréquent – pour en dégager une visualisation imaginaire globale, qui lui permet de réussir, avec « Tempête rouge », en même temps qu’un thriller presque « classique » largement passionnant, une véritable mise en situation, une expérience de pensée plutôt aboutie, au cours de la validité des grandes doctrines se trouvant au centre des débats stratégiques de l’époque, et agitant avec force les milieux directement concernés : la doctrine FOFA (Follow-On Forces Attack) d’une part, en ce qui concernait l’aéroterrestre, et la Maritime Strategy, d’autre part, en ce qui concernait l’aéronaval.

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On trouve déjà ici tous les ingrédients de ce qui se révèlera au fil du temps particulièrement intéressant dans les écrits non fictionnels de Tom Clancy (plutôt sa série « Study in Command » toutefois, que ses « Guided Tour » relevant plus directement de l’honorable vulgarisation), et pas si répandu ailleurs : la conjonction d’une réelle capacité à faire vivre « de l’intérieur » un sous-marin nucléaire d’attaque classe Los Angeles, une frégate anti sous-marins classe Knox ou classe Oliver Hazard Perry, un croiseur lance-missiles classe Ticonderoga, un porte-avions classe Nimitz ou même un régiment aéronaval soviétique avec ses Backfire, ses Badger et ses Bear.  Prenant ses scénarios à bras-le-corps, l’auteur n’hésite pas à chahuter les « règles du jeu » classiques des ouvrages utilisant un matériau militaire contemporain : pour l’anecdote, il n’hésite ainsi pas à mettre en scène de manière constructive les alliés navals français et britanniques, à prêter aux Soviétiques une réelle imagination opérationnelle, et – surtout – à contester certains principes de doctrine américaine en les confrontant à de bonnes doses de friction et de brouillard de la guerre.

Dans un genre, le techno-thriller, qui a produit depuis quarante ans du bon et du très mauvais, « Tempête rouge », malgré son lien étroit à l’actualité militaire et stratégique de l’époque, demeure une grande réussite, dont on ne peut que regretter qu’il n’existe pas vraiment d’équivalents plus contemporains.

La règle du jeu de la rubrique « Je me souviens » sur ce blog est ici.

À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

Discussion

7 réflexions sur “Je me souviens de : « Tempête rouge » (Tom Clancy)

  1. Bonjour,
    je me permets une précision concernant le Team Yankee d’Harold Coyle. Il a été traduis en français. J’ai eu l’occasion de le lire en 1994, lors de mon service militaire, car il figurait dans la bibliothèque des ouvrages « techniques »de mon unité. il me semble qu’il s’agissait d’un ouvrage destiné uniquement aux militaires d’active et à diffusion restreinte.

    Publié par Laurent | 18 mars 2016, 11:05

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