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Notes de lecture 2013

Note de lecture : « Das Kapital » (Viken Berberian)

Bref et inspiré roman de la noirceur poétique du capital débridé misant sur la catastrophe.

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Publié en 2007 aux États-Unis et en 2009 en français chez Gallmeister dans une belle traduction de Claro, le deuxième roman de Viken Berberian parle d’une certaine façon aussi de terrorisme, comme son premier ouvrage Le cycliste, et évoque une toute autre Amérique que celle des grands espaces à arpenter et préserver à laquelle nous avait habitués initialement la jolie maison d’Oliver Gallmeister.

La vision de l’Amérique incarnée par le « héros », plus d’un an avant la crise des subprimes et le choc économique qui en a découlé, est – à l’instar du puissant paysage torturé des Effondrés de Mathieu Larnaudie (2009), celle de la technicité imparable du capital triomphant – ou plus exactement celle des mercenaires triomphants du capital financier omniprésent. Le panorama offert au lecteur pourrait en fait s’étendre bien après la crise de 2008 puisque justement la spécialité d’Empiricus Kapital, le fonds spéculatif dirigé ici par « Appelez-moi simplement » Wayne, est de jouer sur la baisse uniquement, sur l’inquiétude, sur le doute, sur la peur, sur la catastrophe qui toujours approche… quitte à la favoriser à l’occasion, et tout cela sur un mode quantifié.

Mais cette froideur technicienne se transforme insidieusement en une histoire truculente et poétique, par la grâce d’un Corse énigmatique, spécialiste des métiers du bois et du papier, et par celle d’une étudiante marseillaise en architecture, hantant les toits de sa ville pour mieux jauger les structures qu’elle y recense. Ceux que tout devait séparer, l’impeccable et athlétique trader new-yorkais et la rêveuse et bonne vivante jeune doctorante provençale, ont-ils une raison secrète à leur rencontre, autre que cette peu vraisemblable histoire de correspondance transatlantique par mail ?

Un roman subtilement extravagant comme son prédécesseur, et un vrai bonheur de lecture.

Quand le marché clôtura, il regarda les plantes à côté de son bureau. Elles paraissaient plus incertaines que les symboles des titres sur son écran. Il passa la main sur une feuille. On aurait dit une langue extraterrestre, visqueuse et veloutée. La sensation le fit tressaillir, l’impression d’être en contact avec un monde étranger. Il aspirait à quelque chose de familier, comme le motif réconfortant d’une distribution oblongue. Non sans un certain sentiment de culpabilité. L’idée d’une feuille de forme oblongue était-elle moins crédible que celle d’une feuille ordinaire ? Il examina la plante, mais cette fois-ci ce ne fut pas le vert qu’il vit. Il se mit à compter les motifs récurrents sur les feuilles. Il y avait cinq lobes principaux qui émanaient de la tige. Les lobes secondaires ressemblaient aux lobes principaux par le contour, et leurs structures en spirales se chevauchaient. Ils étaient arrangés selon une séquence logarithmique de Fibonacci : 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34, 55, etc. Le fait de compter l’apaisa. C’était comme une musique, un éloge à phi (θ), et il ne pouvait espérer approcher davantage de la perfection.

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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