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Notes de lecture 2014

Note de lecture : « Dix yuans un kilo de concombres » (Celia Levi)

Portrait d’une famille dans un quartier insalubre et traditionnel du Shanghai contemporain menacé par les promoteurs. Un grand roman poétique du désenchantement.

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Celia Levi a séjourné un an à Shanghai pour améliorer son chinois, la langue de sa mère. De ce séjour est né ce roman, paru en 2014 aux éditions Tristram, un récit sur la disparition de la Chine d’avant et sur la cruauté de nos sociétés contemporaines entièrement soumises au pouvoir de l’argent.

Homme d’âge mûr, Xiao Fei vit avec sa vieille mère, qui devient attachante en devenant sénile, ses deux sœurs Mei Mei et Bei Bei, et son neveu, rivé jour et nuit à son ordinateur, dans un quartier traditionnel et insalubre de Shanghai voué à la destruction.

Xiao Fei, rêveur idéaliste comme les héroïnes du premier roman de Celia Levi «Les insoumises», désœuvré et immobile à la manière d’Oblomov, semble incapable d’agir dans ce monde qui lui échappe ; alors il échafaude des rêves de grandeur ou d’amour -être reconnu comme un lettré, admiré pour ses calligraphies ou en tant que héros résistant face aux spéculateurs qui menacent le quartier, être aimé de sa cousine exilée en Amérique et qui revient en Chine pour étudier la langue-, et il oscille entre ses fantasmes et la colère ou l’humiliation de ne rien accomplir.

«Il ne savait pas de quoi il faisait partie, de rien sûrement, il n’était ni un prolétaire ni un bourgeois. Il sentait pourtant son âme tendre à de grandes actions, à de grandes idées.»

Avant l’arrivée des communistes au pouvoir, ses parents étaient des lettrés, déchus au moment de la Révolution culturelle. Xiao Fei se rêve en grand homme de cette Chine d’avant imprégnée de culture et respectueuse de la nature, le pays de son enfance et de la grandeur de son père, tandis qu’il en voit les dernières traces disparaître sous ses yeux.

® Emmanuel Lenain

«Tandis qu’il rêvait Xiao Fei aurait voulu être sur la barque de son enfance, une longue barque fine qui l’aurait ramené sur cette rivière intacte, il aurait regardé les poissons, les algues, la nature lui souriant. Aujourd’hui se disait-il, il ne devait rien en rester, si ce n’était une rive boueuse où les usines pétrochimiques et les incinérateurs crachaient leurs déchets radioactifs.»

Alors que ce monde s’émiette, encerclé par les pelleteuses et les spéculateurs, le dernier rempart de la tradition reste la cuisine, jusqu’à ce que même les aliments deviennent inaccessibles (dix yuans le kilo de concombres), au fur et à mesure de l’écrasement des plus modestes par la société marchande.

«Les raviolis étaient particulièrement réussis, le jus était abondant, il brûlait la langue et se répandait délicieusement dans la gorge. La pâte était délicate, elle glissait entre les baguettes. C’est cela le bonheur, manger de bons xiaolongbao*, le reste n’a pas d’importance. Il pensa à la peinture, aux stèles, à l’Histoire, et se souvint que son père lui avait appris que le bonheur ne pouvait venir des parties basses du corps mais du cœur et de l’esprit.»

Celia Levi était l’invité de la librairie Charybde en avril 2014 pour fêter la parution de ce livre, et également évoquer ses deux précédents romans, «Les insoumises» et «Intermittences», et on peut la réentendre ici.

Ce qu’en dit la librairie Ptyx est ici.

* Xiaolongbao : raviolis à la vapeur, spécialité shanghaienne.

À propos de Marianne

Une lectrice, une libraire, entre autres.

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