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Notes de lecture 2013

Note de lecture bis : « Grande Ourse » (Romain Verger)

L’étendue de la faim.

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Grande Ourse

Dans son deuxième roman, paru en 2007 chez Quidam éditeur après le singulier et fantastique «Zones sensibles»,  Romain Verger met en parallèle et en correspondance le parcours de deux hommes que trente-cinq mille ans séparent.

Homme du paléolithique et l’un des tous premiers artistes, Arcas est resté seul dans sa caverne, les membres de son clan, sa femme, ses fils, ont tous disparu. Dehors, tout est figé sous la neige. Vide de nourriture et de désir, il est obligé de sortir de sa grotte dans un froid polaire pour trouver de quoi se nourrir. Marchant dans ce paysage blanc devenu minéral, enseveli sous la neige et la glace, il va se retrouver face à face avec une gigantesque ourse.

«Le paysage s’enfonçait en pente douce dans le blanc. Ca n’en finissait pas de descendre, de se creuser et de se recreuser plus bas. Et rien ne fondait pourtant. L’air était même plus sec, incomparablement plus sec et tendu. Jamais Arcas n’avait imaginé avoir vécu si haut perché. Et s’il avait d’abord cru qu’en s’enfonçant ainsi, il finirait par retrouver les siens, dans les profondeurs du monde, il y croyait de moins en moins à présent qu’une lumière invivable déferlait, implacable, rongeant le paysage et cramant ses reliefs.»

Trente-cinq mille ans plus tard, Mâchefer, gardien à la grande Galerie de l’Evolution est un anorexique chronique. Cet homme qui vit terré dans un appartement en sous-sol tient une comptabilité morbide et toujours descendante de ses calories et de ses kilos. Il a choisi la faim par dégoût de la chair, par dégoût de sa mère, une femme-tube digestif ne vivant que pour remplir et vider des assiettes.

Mâchefer, comme avant lui Arcas, devant le blanc immaculé de son réfrigérateur, s’avance jusqu’aux confins de la vie dans une transe de la faim. Il sombre dans la folie, dans le fantasme d’une orgie bestiale et des orifices géants d’êtres énormes et voraces. Mâchefer décline et les plantes envahissent son sous-sol submergé par des racines qui sont comme l’irruption de cet ancêtre lointain.

AVT_Romain-Verger_9247Avec la puissance d’un géant, impressionnant par sa précision d’écriture et la force de son imaginaire, Romain Verger nous conduit aux confins de ses visions intemporelles, aux deux extrémités d’une histoire de la faim.

«Il aimait tout particulièrement cette odeur matinale de la Galerie, qui lui réservait son concentré d’effluves. Comme celle du pain grillé ou du café pour d’autres, lui se délectait de ce mélange de vieux bois et d’os. Il aimait leur connivence, qu’il n’avait jamais cherché à débrouiller, dont il n’avait jamais démenti la troublante parenté. Et ce n’étaient pas les nombreuses pièces de bois taillées, dont on complétait les squelettes lacunaires, qui eussent suffi à en expliquer l’harmonie. Non, cela tenait à autre chose, à cette peine fossilisée en lui, et bien avant lui, douleur fossile venue de la nuit des temps. Il la traînait sans pouvoir l’expliquer ni même la définir.»

Mon ami et collègue Charybde 2 en parle magnifiquement ici.

Romain Verger sera à la librairie Charybde (129 rue de Charenton 75012 Paris) pour fêter le lancement de son dernier livre, «Ravive», le jeudi 20 octobre prochain à partir de 19 h 30.

 

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À propos de Marianne

Une lectrice, une libraire, entre autres.

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