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Notes de lecture 2016, Nouveautés

Note de lecture : « Les huit enfants Schumann » (Nicolas Cavaillès)

Les enfants éteints.

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Les huit enfants Schumann

Après avoir transfiguré le destin d’un huguenot contraint à l’exil à la fin du XVIIème siècle dans son premier roman «Vie de Monsieur Leguat», Nicolas Cavaillès s’empare à nouveau de la question des entraves au destin dans ce troisième livre à paraître le 21 avril 2016 aux éditions du Sonneur, en évoquant les trajectoires tragiques ou fades des huit enfants Schumann, pour appréhender la question du poids d’un héritage trop lourd.

Vu comme un «compositeur douteux, balbutiant, fantasque et flegmatique, bohémien soupçonné d’ivrognerie, dont le talent restait à prouver et la situation financière à améliorer sans tarder», Robert Schumann eut toutes les peines du monde à convaincre le père récalcitrant de Clara de lui accorder la main de sa fille prodige. Il vécut ensuite dans les tourments perpétuels d’une passion inextinguible pour la musique, perturbée par ses cauchemars et sa folie.

«Schumann sortait à peine de l’enfance (sa sœur s’était tuée un an plus tôt, bientôt suivie dans la port par leur père) lorsqu’il prit conscience de la nudité de son âme, mais durant toute sa vie sans doute, lumineux garçon, adolescent maladroit, musicien fiévreux puis exilé apathique à l’asile, il contempla le ciel nocturne e la même façon, comme purent le faire ses propres nourrissons à ses côtés ou sans lui, avec autant d’incompréhension et de fascination, en partageant la même intuition invincible, loin au-delà de tout vocabulaire comme de tout langage, dans l’intensité suprême du silence.»

Les huit enfants qui naquirent de cette union virent leur destin et leur liberté amputés, dans l’ombre des passions absolues de leurs parents pour la musique, le talent pianistique de leur mère et le génie et les névroses chaotiques de leur père, qui laissèrent peu de place à l’expression des dons et de la liberté de ces enfants, destins attirés à nouveau vers le vide par l’absence du père enfermé à l’asile.

Robert et Clara Schumann

Robert et Clara Schumann

En évoquant de manière poétique et brève les trajectoires d’Émile qui mourut avant l’âge de deux ans, de Julie élevée comme une fleur délicate et qui finit par se fondre dans le destin fragile qu’on lui prédisait, de Félix, enfant calme et rêveur dont les ambitions musicales et poétiques furent étouffées dans l’œuf, de Ferdinand le banquier à l’existence banale, de Ludwig le simple d’esprit, d’Élise, «la seule des huit enfants Schumann à connaître le lot d’une longue vie assez ordinaire – peut-être précisément parce qu’elle avait su se démarquer, s’isoler et fuir à temps l’infortune familiale», de Marie entièrement dévouée à sa mère et enfin d’Eugénie la cerbère des mémoires, Nicolas Cavaillès fait affleurer les tourments disséminés chez ces enfants privés de destin propre, enfouissant les parcelles de leur génie ou de leur désespoir par crainte de tomber à leur tour dans la malédiction d’un père génial, fou et aimant.

«Ces huit orphelins errant sans but comme des enfants sauvages (lesquels ne furent jamais que des enfants abandonnés), ces petits animaux hantés qui n’évoluèrent que dans les jeux d’ombre et de clarté d’une forêt clairsemée, à la lisière du noir et blanc, reproduisant malgré eux le chaos d’aspirations et de névroses que leur père avait magnifiquement échoué à ordonner, ces enfants ne s’appartiennent pas plus que les autres, marionnettes dénaturées de leurs géniteurs et du destin, poupées déguisées enfermées dans une maison rose, ne jouant qu’avec les bibelots qu’on leur avait mis entre les mains, ne s’exprimant qu’avec les clichés dont on avait gâté leur cervelle affamée ; mais ils purent très tôt pleurer la perte de ce fragile état de non-appartenance à soi qui dans leur cas ne mua pas, comme il l’aurait dû, vers «l’invention de soi» ; il ne leur resta plus dans cette impasse qu’à pleurer la force invisible et superbe qui les y avait conduits.»

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Comme il l’avait fait dans l’énigmatique «Pourquoi le saut des baleines», Nicolas Cavaillès réussit à transformer l’insaisissable qu’il soit beau ou terrible en matière poétique, miraculeusement.

Pour acheter ce livre chez Charybde dès sa parution, ce sera ici.

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À propos de Marianne

Une lectrice, une libraire, entre autres.

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