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Notes de lecture 2013

♥︎ Charybde 1 : « American Prophet » (Paul Beatty)

Renverser les clichés en beauté, entre rire et mélancolie.

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American Prophet

Ce boulot de messie est une plaie. N’empêche qu’il m’a permis de venir combler l’absence chronique de leader chez les Afro-Américains. Désormais, les citoyens de seconde zone écœurés par le système n’ont plus besoin de la petite annonce dans le journal du dimanche qui disait :
« Cherchons négro démago capable de guider peuple divisé, opprimé et égaré jusqu’à la Terre promise. Bon communicateur. Rémunération selon expérience. Débutant accepté. »
Étant poète, et donc expert en techniques de coercition de l’âme noire par les sentiments, je suis on ne peut plus qualifié pour le poste.

Rien que le prologue, maman, le prologue…

Et puis l’histoire reprend depuis le début : Gunnar Kaufman est un gosse presque comme les autres. Noir, certes. Unique famille afro-américaine de son quartier, ouest Los Angeles. Sa mère compense leur bonne éducation en leur narrant, à lui et ses deux sœurs, la généalogie familiale avec la puissance de sa « gouaille de griotte ».

Contrairement au bon vieux Noir des familles, mi-sorcier mi-chante-le-blues, rustaud et sympathique dans sa salopette en jean, digne-devant-le-racisme-péquenaud, du genre vrai marchepied Pulitzer, je ne suis pas le septième fils d’un septième fils d’un septième fils. […] Je suis le premier fils d’un d’un fils de pute branché par les peaux claires, lui-même troisième fils d’un fils nègre de maison lèche-cul qui se trouvait être pour sa part un septième fils mais par défaut seulement.

Et puis le drame familial survient, à peine effleuré. Le genre de drame qui aurait pu être au cœur du livre, on en saura peu, quasi rien. Si ce n’est qu’il pousse la mère à partir, les enfants sous le bras, s’installer dans le ghetto. Et là, changement de décor. Gunnar et ses sœurs se trouvent en territoire hostile, incompréhensible. Ils avaient intégré les codes de la société blanche politiquement correcte et hypocritement multiculturelle, ils se retrouvent paumés sous une avalanche de clichés et de violence.

Après moult passages à tabac, menaces ou insultes, Gunnar se découvre des dons :  la poésie, le basket. Des amitiés : Scoby, fan de jazz qui n’a jamais raté aucun panier, Psycho Loco, chef d’un gang sans gun. Que ce soit dans une école blanche ou sur un terrain vague, Gunnar rentre dans les cases comme moi dans du 36 : ça ne va jamais. Il fait systématiquement un pas de côté. Mais on ne peut pas se construire toujours contre. À l’énergie joyeuse succède alors la mélancolie profonde, premier pas vers le suicide de masse.

Paul Beatty joue avec les clichés du ghetto afro-américain avec une classe digne d’un Percival Everett. Aux images éculées, réductrices, il oppose une palette de personnages ou de situations déjantés, dans un jeu brillant, poétique, souvent drôle. Mais qui vire au triste parfois. Car sous le vernis d’absurdité affleure le sentiment du cul de sac. Les codes raciaux ont été intégrés, digérés. Les victimes n’en finiront jamais d’en souffrir, et de récupération en faux combats, les luttes semblent vaines. Retour à l’absurdité.

Et c’est beau. Très beau.

Pour acheter le livre chez Charybde, en Passage du Nord-Ouest (collector !) c’est ici, et en 10/18 c’est.

À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

Discussion

Une réflexion sur “♥︎ Charybde 1 : « American Prophet » (Paul Beatty)

  1. « American Prophet », traduit par Nathalie Bru, (13, Passage du Nord-Ouest 340 p.).

    Gunnar Kaufmann est un jeune afro-américain issu d’une famille de classe moyenne. Il vivait quasi heureux et insouciant dans les quartiers blancs de Los Angeles. Après le divorce des parents, sa mère déménage, avec filles et fils dans l’Hillside dans Los Angeles West, au pied des collines de San Borrachos (les Saint bourrés). Ne pas confondre (quoique) avec un quartier à l’est de Los Angeles, proche de Pasadena (quartier noir à forte délinquance et programme d’insertion des jeunes en délicatesse avec la société). « Mon magical mystery tour a pris fin dans un faubourg en cul-de-sac de Los Angeles West que les gens du coin appellent Hillside. Situé au pied des San Borrachos Mountains, l’endroit tient moins du quartier résidentiel que d’une carrière à ciel ouvert crépie de bungalows ».

    La suite ? Gunnar va devoir se faire une place entre les gangs (Bloods et Cripps), faire du basket et finalement devenir une un icône, une star des noirs américains. Il paye de sa personne pour cela et est même violé par deux excentriques nymphettes. Et cela n’est pas si simple que de devenir une star « Scoby, les yeux rouges, commençait à renifler. Il craquait sous la pression. En voyant sa main trembler, j’ai réalisé que parfois la pire chose pour un nègre, c’est la réussite. La réussite vous accule. » Il faut quelquefois plus que de l’abnégation « Il paraissait tellement angoissé que l’envie me démangeait de lui lancer un biscuit pour les chiens. »

    un livre qui se termine sur l’absurdité des choses.

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    tant que j’y suis
    « Moi contre les Etats-Unis d’Amérique » de Paul Beatty, traduit par Nathalie Bru (16, Cambourakis, 328 p.), voilà un roman sur la ségrégation qu’il est noir de chez noir. Non pas que cela soit un (mauvais) jeu de mot sur l’auteur, mais il se dégage de ce livre une critique féroce des mœurs etatsuniennes.

    Bonbon, le narrateur est le fils d’un psy (passionné par son métier, mais tordu à la base). Son père « estimé psychologue afroaméricain » l’éduque en fonction de ses psycholubies (y compris lynchage et électrocution – enfin non, on dit électrothérapie et comportement de groupes). Le tout se passe à Dickens, enclave agricole dans un quartier noir de Los Angeles. « jJai grandi dans une ferme en plein cœur de la ville » .

    Naturellement la famille avait un esclave Hominy Jenkins, qui une fois affranchi veut retrouver son ancienne condition et colle pour cela des affiches pour la ségrégation raciale dans les bus et le rétablissement des places arrières réservées aux noirs.. « J’étais juste le proprio d’un vieux noir ratatiné qui ne connaissait qu’une chose : sa place ». A près de 70 ans, Hominy finira dans un club sado-maso pour s’y faire fouetter.
    On a compris que le sujet est quelque peu borderline quant à la traite des sujets noirs et que le politiquement incorrect y est replacé à sa juste valeur.

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    et pour terminer
    Ségrégons, ségrégons….. disait l’autre ( à la grande mèche blonde)
    Sacrécons sacrécons …….transmettait la sono…………

    Publié par jean louis | 8 mars 2016, 09:13

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