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Notes de lecture 2014

Note de lecture : « Les bonnes gens » (Laird Hunt)

La révolte intérieure et hallucinée des « bonnes gens »

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huntVers le soir de sa vie, dans une nuit qui s’étend autour du foyer, après la tempête et des souffrances qu’on devine très profondes, une femme raconte…

 

Les récits des «Bonnes gens» s’étirent sur un siècle, depuis 1830, dans l’Amérique mythique des premiers colons, avec l’isolement d’un couple et de leur enfant dans une nature belle et dangereuse, que l’homme cherche à façonner avec des moyens dérisoires, et où il est confronté à la douleur, à la perte, et cette ouverture sonne comme un avertissement envers ce qui va suivre.

Puis on lit – et autant que l’on lit, il semble que l’on écoute – ce qui est, peut-être, l’histoire de cette femme, Ginny, partie à quatorze ans, et de son plein gré, vers 1850, pour épouser et vivre avec Linus Lancaster et deux filles, Zinnia et Cleome, dans une propriété au bout d’un pont de pierre au cœur du Kentucky, une terre promise qui en réalité s’avérera être un enfer, un lieu de violence et de meurtre.

Amoureuse des livres, des chants et des histoires, Ginny, petite fille avait écrit l’histoire d’une princesse qui réussissait à devenir la reine des nuages. Transformant tout en boue, Linus, son mari, a vite brûlé ses livres, les seules histoires pour lui sont celles de la Bible, tandis qu’il garde toujours son fouet à portée de la main.

«Ombre.
C’est là que j’ai été, et que je suis, là que je poursuis mon triste chemin. Donc, si en évoquant aujourd’hui mes tous premiers jours passés dans cet endroit du Kentucky auprès de mon mari Linus Lancaster je déclare voir briller sur nous tous la lumière d’un lieu charmant et indemne de toute blessure, vous saurez, et je peux dire qu’il ne s’agit que du stratagème conçu par un esprit désireux de changer ce qui fut mais qui s’en trouve incapable.»

Il y eut enfin l’errance jusqu’en Indiana où, depuis quarante ans, marquée par les stigmates de sa vie antérieure malgré son changement de nom, cette femme fait des ménages chez Lucious Wilson, un homme dont la bonté est arrivée trop tard pour l’atteindre dans cette vie-là.

«Lucious Wilson vint se tenir dans l’embrasure et resta longtemps à m’observer. Il alluma sa pipe, en tira une bouffée ou deux, et la fumée pénétra dans la pièce.
Si j’avais pu me rassembler pour me changer en fumée à cet instant même, je l’aurais fait. Unissant ma fumée à la sienne, en suspension dans les airs, je serai sortie par la fenêtre pour me coller contre les planchers que Lucious Wilson arpentait, contre les murs sur lesquels il appuyait ses mains.»

On peut lire aussi le récit de Prosper, revenant en 1930 au bout du monde dans ce coin de Kentucky, sur les traces de sa mère, enterrée dans ce qui fut un morceau d’enfer dans la petite maison au bout du pont de pierre.

Ce grand roman, dans lequel beaucoup de choses ne sont pas dites, comme dans «Une impossibilité», ou se dévoilent très tard, est un livre terrifiant et bouleversant, sur la contagion et l’impossibilité d’échapper au mal, et dont le thème du Mal, la densité noire des personnages et les blancs du récit évoquent Roberto Bolaño.

«J’ai vu ces flammes de bougie brûler dans ses yeux. C’est comme ça qu’il trouvait son chemin dans le noir. Tu crois que dans le Nord aussi, il y en a qui voient dans le noir ? Qui arrivent vers toi dans le noir avec leurs grosses bottes ?»

Charybde 1 a aussi beaucoup aimé et elle le dit magnifiquement ici. Laird Hunt était l’invité de Charybde en février 2014 pour la parution française de ce roman aux éditions Actes Sud (paru en 2012 en anglais, traduction d’Anne-Laure Tissut) et on peut le réécouter ici, et il sera à nouveau l’invité de Charybde le 3 septembre prochain pour la parution de «Neverhome» (Actes Sud, septembre 2015).

Pour acheter «Les bonnes gens» chez Charybde, c’est par là.

 LairdHunt_AF

 

 

 

À propos de Marianne

Une lectrice, une libraire, entre autres.

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