Un peu décevant après l’excellent « Kampuchea ».
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Publié en 2012, le dixième ouvrage de Patrick Deville, venant très peu de temps après l’excellent « Kampuchea », et trois ans après l’également très réussi « Equatoria », apparaît hélas au moins en partie comme une scorie trop vite écrite du travail précédent…
Le terrain choisi est intéressant, indéniablement, et avait même sans doute un certain potentiel de grandeur : la vie et l’œuvre de cet étonnant personnage que fut Alexandre Yersin (suisse romand, et non russe !), émule talentueux de Louis Pasteur, explorateur, chercheur multi-disciplinaire, découvreur, donc, du bacille de la peste (auquel il attacha son nom), qui reste sa principale légation connue du « grand public », mais aussi planteur, inventeur, artisan industriel, mécène et dilettante suprême.
Le parcours terriblement atypique de ce curieux doué et insatiable, enchaînant les passions dévorantes et les quittant sitôt la « percée » effectuée, sans (presque) jamais chercher à capitaliser notoriété, reconnaissance ou richesse, est en effet fascinant : le portrait tout en douceur d’un aventurier tranquille à qui tout réussit et que rien ne semble pouvoir atteindre…
Las, Patrick Deville a cette fois quelque peu gâché son matériau : là où (presque) tout tombait « juste », sans affèteries, dans « Kampuchea », le trait semble ici parfois forcé. Les redites notamment sont innombrables, au risque de faire se sentir le lecteur bien plus bête qu’il n’est, les omniprésentes références à Rimbaud, alliant lui aussi le vagabondage organisé entre poésie, exploration, commerce et géopolitique, semblent cette fois le plus souvent bien artificielles, la structure de narration en flashbacks encastrés sert surtout à masquer la pauvreté du fil conducteur lui-même, que Patrick Deville n’a pas su ou pas voulu, pour la première fois, vraiment dégager, et enfin, le narrateur omniscient et parfois subtilement ironique, depuis sa position privilégiée, toujours discret dans les ouvrages précédents, s’incarne ici en un « fantôme » bien inutile, qui ne fait qu’ajouter une lourdeur incongrue et des remarques personnelles glissant à l’occasion vers le pathétique… Le style sec qui faisait le bonheur de « Kampuchea » sonne ici juste à la limite du faux et de l’affecté.
Déception et regret donc, pour ce récit qui reste toutefois intéressant, en pensant à ce qu’il aurait pu donner sous une forme plus ramassée, diminuée au moins de moitié, et rendue nerveuse et riche par un peu plus de vigilance à l’écriture…
« Pour Yersin, adepte d’une manière de maïeutique, rien de ce qui peut s’enseigner ne mérite d’être appris, même si toute ignorance est coupable. »
« Yersin n’est pas un homme de Plutarque. Il n’a jamais voulu agir dans l’Histoire. A la différence des Vies que celui-ci met en parallèle, celles des traîtres et des héros, celle-là de Yersin n’offre aucun exemple à fuir ou à reproduire, aucune conduite à suivre : un homme essaie de mener son embarcation en solitaire et la mène plutôt bien. Derrière lui la mer efface son sillage. Le soir on l’aide à gagner son bureau. Il reprend l’étude du grec et du latin. »
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