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Notes de lecture 2016, Nouveautés

Note de lecture : “Algèbre” (Yan Pradeau)

Biographie romanesque de l’Attila des mathématiques, Alexandre Grothendieck, enfant blessé et génie radical

 

Yan Pradeau Algebre

Dans cette biographie romancée sous-titrée «Éléments de la vie d’Alexandre Grothendieck», parue en janvier 2016 aux éditions Allia, l’écrivain, professeur de Mathématiques et critique de rock Yan Pradeau aborde la vie d’Alexandre Grothendieck (1928-2014), en mettant en lien les racines, le parcours hors normes et les fractures de la vie chaotique et plus grande que nature de ce mathématicien fulgurant, avec l’histoire du XXème siècle en toile de fond.

Anarchiste et fils d’anarchistes, Alexandre Grothendieck est l’enfant d’un juif hassidim ukrainien, ayant rejoint Moscou à l’âge de dix-sept ans et dont l’histoire agitée se confond à partir de cette date avec celle de l’anarchie, et d’une mère issue d’une famille protestante d’Allemagne du Nord. En 1933, après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, ses parents installés en Allemagne dans une situation très précaire quittent le pays pour la France, avant de rejoindre les rangs des Républicains espagnols. Alexandre, qui est surnommé Shourik, est alors confié à une première famille d’accueil. Rattrapé par la Gestapo en France, son père est déporté et sa mère internée au camp de Gurs, tandis que Shourik est accueilli dans un foyer au Chambon-sur-Lignon.

Pendant l’Occupation et malgré des conditions de vie épouvantables, Alexandre va découvrir la mathématique, son agaçante beauté et sa protection loyale.

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Alexandre Grothendieck, à l’Institut des hautes études scientifiques

Doté d’une intuition et d’une capacité de travail exceptionnelle, Alexandre Grothendieck est repéré dès l‘orée de sa thèse, car il résout en seulement quelques mois quatorze énigmes jusqu’alors insolubles pour deux mathématiciens de renom. Membre du groupe Nicolas Bourbaki, il va développer une nouvelle vision de la géométrie et bouleverser la manière de faire des mathématiques de manière durable, en «maître de la dénomination».

«La réalité mathématique est invisible parce que nous ne possédons pas de mots pour la nommer. Mon travail est avant tout une création de langage».

Sa puissance technique est secondaire, jamais une fin en soi. Sa capacité à changer de point de vue, à prendre de la hauteur pour entrouvrir des portes toujours plus lointaines plonge ses élèves dans une extase presque mystique. Peu à peu, le maître devient gourou.

Attila des mathématiques, cet «enfant perdu» est rattrapé par la solitude et l’abandon à la disparition de sa mère en 1957, et lorsqu’à trente-huit ans, en 1966, il est lauréat de la médaille Fields qu’il refuse, comme toutes les autres distinctions qu’on voudra lui attribuer. L’impossibilité pour cet apatride (il le restera jusqu’en 1971), fils d’un anarchiste «ennemi de classe» d’obtenir un visa pour l’Union Soviétique ranime alors le souvenir douloureux de son père.

En mai 1968, traité de mandarin, de vieux con par les étudiants, il est à nouveau rattrapé par ses origines et ses fantômes. Ses combats pour que les mathématiques ne soient pas inféodées à l’industrie, son engagement dans le combat écologique et pour la survie de la planète dès 1970, son antimilitarisme et son irrémédiable insoumission vont lui faire perdre pied avec la communauté scientifique, et ce mathématicien de génie va s’enfoncer dans la solitude. Reclus et misanthrope, sans doute aux frontières de la folie, il se consacre dans la dernière partie de sa vie à l’écriture, avec une boulimie toujours impressionnante.

Avec ce premier court roman, Yan Pradeau orchestre un portrait réussi et touchant d’un homme à la stature immense, enfant blessé, penseur radical en tout et mathématicien légendaire.

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Yan Pradeau

Yan Pradeau

 

À propos de Marianne

Une lectrice, une libraire, entre autres.

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