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Notes de lecture 2022, Nouveautés

Note de lecture : « Ce que la France n’a jamais dit à l’Algérie » (Alain Giorgetti)

Contre les justifications oiseuses et persistantes du colonialisme, un audacieux cheminement analytique et poétique vers la vérité acceptée et partagée.

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Giorgetti

Discours du président de la République française
Alger, le 5 juillet 2022
Un crime hante l’Histoire de la France. Entaché de mensonges et de dénis à répétition, ce lourd fardeau porte à ses épaules, l’empêchant de relever la tête et de se regarder en face, avec dignité. Ce trouble chronique, qui gît et qui geint dans notre mémoire collective, a un nom : le colonialisme. Mot terrible trempé d’horreurs et de déshonneurs, et qu’il nous revient de reconnaître officiellement afin de le mettre à sa juste place, à savoir au rang des totalitarismes mondiaux. Depuis la fin du siècle dernier, en Algérie comme en France, l’université, la presse, la littérature et les autres arts nous avaient montré la voie. Il n’est que temps désormais, pour l’État français, et par l’intermédiaire de son président élu, de se mettre au diapason de la vérité historique établie par la recherche des faits. Temps de mettre fin aux tensions mémorielles, à ces « passions tristes » qui nous remuent encore et toujours avec fièvre, alors que nous vivons plus d’un demi-siècle après.

En imaginant ce discours de 65 petites pages, qui aurait pu être adressé en ce début de mois de juillet 2022, par le président de la République française, aux citoyens algériens directement et aux citoyens français un tout petit peu moins directement, Alain Giorgetti fait œuvre intelligemment brutale et profondément salutaire.

À l’heure où, contre toute évidence mais aussi contre tout bon sens simplement humain, on trouve en France non pas de moins en moins mais de plus en plus de thuriféraires authentiques du colonialisme « civilisateur », de cyniques reconnaissant plus que jamais le droit du plus fort à la richesse libre et sans entraves, ou au moins de « gens raisonnables » relativisant les méfaits de ces conquêtes et invoquant de bizarres « torts partagés », Alain Giorgetti mobilise en toile de fond une bonne part des recherches historiques les plus récentes, alliées aux témoignages directs plus anciens et – paradoxe apparent seulement – à une part de poésie, de langue française comme de langue arabe ou berbère, pour faire de la colonisation de l’Algérie et de la guerre (toujours entachée de son pudique et politique nom officiel d’« événements ») qui y mit fin ce qu’elle est au premier chef : un emblème des crimes passés, jamais ou très rarement reconnus (bonjour Léopold), et encore reconduits à la première occasion réelle de nos jours (bonjour la Birmanie, bonjour l’Amazonie, bonjour l’Arctique, bonjour beaucoup d’autres) lorsqu’il y a de l’argent à se faire et des puissances régaliennes à téléguider à ce seul véritable service.

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Mes chers amis, cette obscure période a trop longtemps étendu son ombre sur les corps comme sur les esprits. La période des mensonges d’État n’a que trop duré. L’heure est venue de faire entrer la lumière dans les plus sombres placards de la République française, et de faire enfin la paix avec les fantômes qui offusquent l’horizon. Je suis venu vous dire qu’il est temps de mettre à jour notre mémoire partagée. Qu’il n’est plus possible que d’anciennes querelles nous demeurent les plus vives. Seul, à présent, nous importe d’y remédier et de s’engager ensemble sur le chemin de la justesse et de la justice. Aujourd’hui, la recherche conjointe et continue de la vérité n’est jamais qu’un autre nom de cette aspiration à la liberté que nous chérissons tous. Au nom de la France, je veux vous proposer de mettre un terme définitif aux avatars d’une prétendue guerre des mémoires qui n’est pas, qui n’est plus la nôtre. Depuis plus de soixante ans, alors que les chercheurs, les écrivains, les journalistes et les témoins ont fini de documenter crimes et méfaits coloniaux, nos mémoires nationales demeurent contrariées, alors qu’elles ne devraient fonder qu’une seule et même réalité. Un seul et même corpus de connaissances porté par les livres d’histoire et les consciences individuelles. Ainsi l’histoire du colonialisme français en Algérie fourmille-t-elle déjà de traitements analytiques et archivistiques futurs, que les pistes ouvertes par le passé doivent inciter à poursuivre, voire à dépasser. Il n’est plus temps d’avoir raison ou tort quant aux erreurs et aux horreurs du colonialisme qui, comme l’ont démontré Simone Weil, Aimé Césaire, Frantz Fanon ou Hannah Arendt, est une autre forme du totalitarisme. Il est un peu trop facile de prétendre, aujourd’hui encore, ne pas avoir à s’exprimer sur ces sujets au prétexte que l’on soit né après 1962. Car si la France continue de bénéficier indirectement des fruits du colonialisme, l’Algérie quant à elle continue d’en subir les conséquences. Il s’agit donc pour nous, désormais, d’être du côté de la vérité historique. Du côté de la justice. De la raison. Il nous revient d’être plus raisonnables que nos devanciers. Sans mollesse ni fanatisme, quitte à penser contre nous-mêmes.

Discours fougueux, soigneusement articulé néanmoins – et à la rhétorique finement ajustée (que ne renierait sans doute pas le protagoniste principal du « Acharnement » de Mathieu Larnaudie) -, « Ce que la France n’a jamais dit à l’Algérie », publié en mai 2022 chez Inculte, offre une rare occasion de saisir, au-delà des récits et fictions de relativisation, nécessaires évidemment (les travaux de Mehdi Charef comme ceux de Kamel Daoud demeurent ô combien précieux, par exemple), les aspects les plus fondamentaux de la lutte contre le colonialisme, avec ses diverses conséquences.

Imaginant cet aveu unilatéral finement documenté qui serait tout sauf une marque de faiblesse, Alain Giorgetti nous secoue et nous enchante, même au prix de quelques paradoxes bienvenus. Connaisseur des trahisons mémorielles inavouées (son « Pardonne pas – Sept roses rouillées à la mémoire de François Mitterrand » sur, entre autres, le sort de la sidérurgie lorraine sous Giscard-Barre et sous Mitterrand en témoigne en beauté) et des conséquences concrètes, même lorsqu’elles ne sont pas immédiates, du grand jeu néo-colonial (même lorsqu’il se essaie de se parer d’habits neufs) au Moyen-Orient (son bouleversant « La nuit nous serons semblables à nous-mêmes », retraçant les itinéraires menant d’une vie « normale » à une plage de sable sicilienne ou grecque, en témoigne à son tour), il nous offre un audacieux et flamboyant cheminement analytique et poétique, en compagnie aussi de Zhor Zerari, de Tahar Djaout, de Kateb Yacine ou d’Anna Greki, sur la route épineuse et pourtant indispensable de la vérité acceptée et partagée.

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