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Notes de lecture 2021, Nouveautés

Note de lecture : « Mort en pleine mer et autres enquêtes » – Montalbano 27 (Andrea Camilleri)

Huit nouvelles particulièrement savoureuses issues de la jeunesse de notre commissaire sicilien préféré.

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Camilleri

Ils étaient assis sur la véranda, à parler de choses et d’autres, quand Livia, soudain, sortit une phrase qui surprit Montalbano.
– Quand tu seras vieux, tu te comporteras pire qu’un chat routinier, dit-elle.
– Pourquoi ? demanda le commissaire, éberlué.
Et aussi un peu irrité, ça ne lui faisait pas plaisir de pinser à lui en vieux.
– Tu ne t’en rends pas compte, mais tu es extrêmement méthodique, ordonné. Un truc qui n’est pas à sa place, ça te met de mauvaise humeur.
– Allez !
– Tu ne t’en aperçois pas, mais t’es comme ça. Chez Calogero, tu t’assieds toujours à la même table. Et quand tu ne vas pas manger chez Calogero, tu choisis toujours un restaurant à l’ouest.
– À l’ouest de quoi ?
– À l’ouest de Vigàta, ne fais pas semblant de ne pas comprendre. Montereale, Fiacca… Jamais, je sais pas, à Montelusa ou à Fela… Et pourtant, il doit y en avoir, des jolis endroits. Par exemple, on m’a dit qu’à San Vito, la plage de Montelusa, il y a au moins deux petits restos qui…
– On t’en a donné les noms ?
– Oui. L’Ancre et La Poêle.
– Lequel tu choisirais ?
– Comme ça, à l’intuition, je dirais La Poêle.
– Ce soir, je t’y emmène, trancha le commissaire.

À la très grande satisfaction de Montalbano, la bouffe était bonne pour les cochons. Disons même que les cochons mangeaient mieux que ça. L’établissement était fier de sa friture mixte de poisson. Mais le commissaire eut e soupçon que l’huile utilisée servait pour les moteurs d’autocars et le poisson, au lieu d’être croquant comme il aurait dû, était mollasson et aqueux, comme s’il avait été préparé la veille. Et comme Livia s’excusa de son erreur, le commissaire le prit en rigolant.
Quand ils eurent fini de manger, ils ressentirent le besoin immédiat de se rincer le palais et s’en allèrent boire, lui un whisky, elle un gin tonic, dans un bar qui se trouvait vraiment tout au bord de l’eau.
Et pour rentrer à Vigata, Montalbano, désireux de montrer à Livia qu’il n’était pas aussi routinier qu’elle le croyait, suivit une route inhabituelle. Il arriva aux première maisons sur le haut du bourg, d’où l’on avait une vision à couper le souffle sur le port et la mer sereine qui reflétait un bout de lune.
– Que c’est beau ! Arrêtons-nous un moment, proposa Livia.
Ils descendirent de voiture, le commissaire s’alluma une cigarette.
Il était à peine plus de minuit et le ferry pour Lampedusa, tout illuminé, était en train de manœuvrer pour sortir du port. À l’horizon brillaient quelques lamparos.
Juste dans leur dos, un peu détaché des autres habitations, il y avait un vieil immeuble de trois étages, en mauvais état, dont la façade quelque peu décrépie portait une enseigne au néon allumée : Hôtel Panorama. La porte en était close, les clients retardataires devraient sonner pour entrer.

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Juste après « La pyramide de boue » en 2014, Andrea Camilleri avait observé une légère pause dans le déroulement des enquêtes du commissaire Salvo Montalbano, en se permettant de publier la même année ce recueil de huit nouvelles renvoyant (théoriquement) aux années enfuies du « jeune Montalbano ». Traduit en 2021 au Fleuve Noir, comme toujours par Serge Quadruppani – qui remplace ici sa traditionnelle et si précieuse préface évolutive concernant les questions bien particulières de traduction qu’impose la langue de la série, entre italien, sicilien et « montalbanais », par une savoureuse lettre ouverte à Salvo, partiellement parue en 2017 dans le cadre d’une journée d’études alors consacrée à Andrea Camilleri -, l’ouvrage est ainsi venu s’insérer en français juste après deux autres romans, « Le manège des erreurs » et « L’autre bout du fil », dont nous vous parlerons ici plus ou moins prochainement.

Tandis qu’il mangeait un délice de rougets en papillote, il lui vint une pinsée et il appela le propriétaire de la trattoria.
– Je vous écoute, commissaire.
– Dis-moi, par curiosité. Tu i pisci unni l’accatti ? Toi, les poissons, tu les achètes où ?
– Chez Filici Sorrentino.
– Chez Matteo Cosentino, tu ne t’es jamais approvisionné ?
– Oh que oui, pendant une certaine période. Mais ensuite, j’ai changé.
– Pourquoi ?
– Passque deux fois de suite, il m’a pris pour un con.
– Comment ça ?
– En me vendant du poisson décongelé comme du poisson frais.
– Ça veut dire qu’il n’avait pas assez pêché de poissons pour…
– D’après ce qu’on raconte, ça lui arrive souvent. Ses chalutiers reviennent à moitié vides et lui, pour ne pas perdre ses clients, s’achète du poisson congelé chez les collègues.
– Mais il a toujours fait comme ça ?
– Avant, il était réglo. Ça a commencé il y a trois ou quatre ans.

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Belles occasions pour toucher du doigt, de l’œil ou du bout de la langue, l’évolution de nos personnages favoris depuis leur prétendue « jeunesse », du bourru commissaire lui-même à son éternelle fiancée Livia, en passant par les irremplaçables détectives adjoints Augello et Fazio, le toujours aussi (ou déjà) déroutant Catarella, futur génie informatique définitivement fâché avec les noms propres des visiteuses et visiteurs, que ce soit au standard téléphonique ou à l’accueil physique du commissariat, le légiste Pasquano ou encore le restaurateur Calogero, « La chambre numéro 2 », « Double enquête », « Mort en pleine mer », « Le billet volé », « La transaction », « Conformément à la procédure », « Un abricot » et « Le voleur honnête » forment aussi à elles huit comme un condensé des thématiques qui hantent l’ensemble des romans-enquêtes du commissaire sicilien, des frasques amoureuses des uns et des autres aux règlements de comptes tortueux, des malversations de nantis aux basses vengeances de celles ou ceux n’acceptant pas la réussite d’autres, des drames nés de la lâcheté politique à ceux issus des appropriations mafieuses, en une galerie d’autant plus impressionnante qu’elle est conduite à un rythme ici accéléré, forme courte oblige. Signalons enfin que RAI 1 s’est également emparé entre 2012 et 2015 de ces nouvelles (et de quelques autres laissées précédemment de côté, car ayant trait aussi à la jeunesse de Salvo, telles certaines issues de « Un mois avec Montalbano » , de « La démission de Montalbano », de « La peur de Montalbano » ou de « La première enquête de Montalbano ») pour lancer une deuxième série télévisée, « Le jeune Montalbano », avec Michele Riondino dans le rôle-titre, pour accompagner les quatorze saisons (entre 1999 et 2020) de la série « principale », conduite depuis « La forme de l’eau », où Luca Zingaretti incarne le commissaire dans la force de l’âge, voire doucement vieillissant.

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À propos de Hugues

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