Le rêve de Marbella a montré ses cendres : y a -t-il encore un temple à garder pour le rusé et ambitieux Ziz ?
x
ATTENTION : cette note de lecture, malgré des précautions, risque fort de dévoiler certains éléments importants de l’intrigue de l’ouvrage précédent de l’auteur, « Cendres de Marbella » (2017), que je vous recommande donc de lire au préalable.
x
x
x
x
Vous voilà prévenu(e)s ! Deux ans après « Cendres de Marbella », Hervé Mestron publie, toujours chez Antidata, sa suite fort attendue, sous forme d’une novella légèrement plus courte (60 pages) que l’épisode précédent de la vie et du destin de Ziz, dealer rusé et ambitieux qui rêvait de pré-retraite dorée sur la clinquante côte espagnole.
On ne voit rien venir. Moi, coincé que je suis entre des mecs qui s’urinent dessus la nuit et un maton amoureux de moi, tu penses bien que j’ai autre chose à faire que de suivre ce que le Sénat décide de voter ou non. Et puis ça arrive, lentement, presque sans faire de bruit. C’est du lourd, tout s’effondre, comme un château de cartes. Pourtant, souviens-toi, des siècles qu’on tient boutique sans jamais un dépôt de bilan. Tout le monde en CDI, faut le faire. L’organisation qui fait ses preuves depuis des lustres, mais là, on se prend une claque sévère. L’image qu’il m’en reste, c’est un empire englouti. Des ruines, des cendres, les miettes d’une civilisation perdue.
L’ombre qui te protège du soleil disparait brutalement. Tu n’as soudain plus d’endroit où te réfugier. Tu commences à griller sur place, comme un insecte pris au piège. Et tu ne bouges pas parce que tu n’y crois pas. Tu diagnostiques un bad trip, sans pour autant tirer la sonnette d’alarme. Mais au fond, tu sais déjà que tu es perdu.
Comme c’était la droite au pouvoir, on ne capte pas tout de suite. Les gouvernements successifs n’ont jamais réussi à nous chasser de nos barres, on ne voit pas pourquoi les choses pourraient changer. Mais là, la droite elle vient de réaliser un coup historique. Un truc complètement imprévisible.
Que l’État décide de légaliser la vente de beuh, ça nous a troué le cul. Ca commence doucement, façon thérapeutique, comme en Californie. On achète de l’herbe sur ordonnance, dans les pharmacies. Les gens viennent acheter de la beuh avec un poireau sous le bras et les mômes dans la poussette. Et vu qu’ils paient en CB, ils rajoutent facile un tube de dentifrice ou du doliprane. Puis les pharmacies sont devenues la cible de multiples braquages. Avec un mec qui fait le bélier et des moutons derrière qui courent se servir dans les rayons. Et là, tout le monde s’est dit que le gouvernement allait faire marche arrière et revenir à la prohibition.
x
Il n’est pas si fréquent d’observer, particulièrement dans un texte court, une telle détermination pour transmettre dans la chair et l’esprit de la lectrice ou du lecteur l’effet total de deux événements simultanés sur un protagoniste, l’un collectif et global (la légalisation de la vente du cannabis), l’autre purement individuel (le séjour en prison, durant quelques mois ou quelques années). Hervé Mestron parvient à inventer une écriture radicalement différente de celle qu’il utilisait précédemment pour ainsi rendre compte d’un changement de paradigme et d’un univers authentiquement effondré, dans un réjouissant retournement de point de vue qui joue à nouveau avec les codes marchands « réinventés » chers au Charles Robinson de « Génie du proxénétisme », de « Dans les cités » ou de « Fabrication de la guerre civile ». Il le fait avec la gouaille ravageuse qu’on lui connaissait déjà, mais dont il a modifié la composition en profondeur en y instillant une réelle et puissant amertume, déstabilisante à souhait. Et c’est ainsi que ce « Gardien du temple » devient sous nos yeux à la fois une spéculation sociale rusée et une très opérationnelle plongée dans un malaise intime, là où l’on s’y attendrait peut-être le moins.
Je porte un treillis stylé avec des poches factices, un modèle Kenzo à 99 euros qui vient de Chine. Mais franchement, à parti si tu fumes les coutures, tu ne vois pas la différence. Puis quand je vois la silhouette de Dick sortir de la cicatrice d’un bloc de béton, je ne bouge pas. Pendant que j’étais en zonz, ce mec m’a tout piqué : la fille qu’était avec moi et le fric que j’avais planqué sous la baignoire d’un Formule 1.
Il est venu me voir quelques fois au début de mon incarcération, puis ensuite, je n’ai plus entendu parler de lui. Des tas de fois j’ai imaginé ces retrouvailles. Moi défouraillant direct pour le fumer, lui faisant cracher sa bave en lui fracassant le nez avec la crosse. Mais je ne suis plus vraiment en état de marche.
En taule, tu penses juste à ta sortie, plus beau, plus fort, comme pour rattraper le temps perdu. Tu as les dents pourries, tu manges de la merde, tu cohabites à quatre dans 9 m2, sans intimité, sans hygiène. Alors c’est simple, tu fais des pompes, des abdos, des tractions. Une promenade par jour, trois douches par semaine, et au lieu de mourir tu ressuscites, seulement en contraignant ton corps à un entraînement de militaire. Mais les séquelles, pour t’en débarrasser, bonjour.
x
Discussion
Rétroliens/Pings
Pingback: 4 x 3 packs découverte pour votre curiosité de lectrices et de lecteurs | Charybde 27 : le Blog - 27 mars 2021