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Notes de lecture 2019

Note de lecture : « Dans le désert » (Julien Blanc-Gras)

L’œil plissé et joueur, l’humour dans la besace, un séjour alerte pour confronter le Qatar et les Émirats Arabes Unis à leurs clichés solides et à leurs vérités cachées éventuelles.

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Après avoir suivi Julien Blanc-Gras au Mexique (« Gringoland », 2005) puis au Groenland (« Briser la glace », 2016), c’est mon troisième voyage en compagnie de l’auteur, qui m’emmène cette fois-ci, avec ce « Dans le désert » publié en 2017 chez Au Diable Vauvert, du côté du Qatar et des Émirats Arabes Unis, ainsi que (très fugitivement) du royaume d’Oman et (plus fugitivement encore) de Bahrein.

Je voue une confiance mesurée à l’être humain. Ce niveau de confiance, fluctuant, tend à diminuer quand je me contente de rester chez moi en consommant de l’information. Dès que je pose le pied sur un autre continent, une bouffée d’optimisme me transporte. Vue de près, l’humanité n’est pas aussi laide qu’elle en a l’air.
Je voyage avec un entêtement méthodique sur cette plante qui, pour minuscule qu’elle soit dans le cosmos, présente l’avantage d’être inépuisable à hauteur d’homme. Les hasards de l’existence et mon goût de l’ailleurs m’ont conduit dans les métropoles globales et les villages oubliés, dans la chaleur tropicale et le froid polaire, dans des régions troublées et des enclaves pacifiques. J’ai fréquenté des palaces et des bidonvilles, descendu des fleuves très sacrés et gravi des montagnes que l’honnêteté me contraint à décrire comme pas trop hautes. Surtout, j’ai partagé des bouts de vécu avec un échantillon assez représentatif de notre espèce.
Si je ne devais retenir qu’un enseignement d’une demi-vie de pérégrinations et de rencontres, ce serait celui-ci : pour peu qu’on soit bien intentionné, où que l’on soit, la bienveillance l’emporte sur le rejet vis-à-vis du visiteur. J’ai traversé les méridiens et on m’a toujours ouvert la porte.
J’ai vu des horreurs, bien sûr, et des miracles aussi. Les belles âmes et les salauds coexistent dans tous les pays (c’est pour cela que je trouve peu pertinent d’être raciste) et toutes les classes sociales (c’est pour cela que je trouve peu pertinent d’être marxiste). C’est ce que nous indique la sagesse la plus élémentaire et je le vérifie à chaque étape.
j’ai longtemps voyagé par égoïsme, pour jouir de la nouveauté permanente qu’offre la route. Les années ont passé, le monde a changé et il m’a changé. Désormais, je me déplace moins pour m’emplir d’expériences que pour entretenir un espoir : ce qui rapproche les hommes est plus fort que ce qui les sépare. Je voyage pour vérifier que je peux nouer des liens avec n’importe qui, et ainsi valider mon identité d’Homo sapiens doué d’empathie. je voyage pour corriger la myopie que nous infligent les écrans. Je voyage pour me rassurer, en somme.

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Le plus récent des voyages partagés par Julien Blanc-Gras commence ainsi par ce qui se rapproche le plus, dans sa bibliographie à ce jour, d’une profession de foi, gouailleuse, ironique, et pourtant d’une simplicité et d’une sincérité émouvantes : voici donc comment a évolué le ressort secret de cet aller voir là-bas qui nous promet une approche joyeusement oblique, à la fois empathique et iconoclaste, abordant les clichés qui encombrent si souvent nos cerveaux par la face nord, quitte à les découvrir, le cas échéant, solides et bien en place, malgré l’espoir de se tromper. L’atterrissage à Doha (Qatar) est ainsi l’occasion d’un test grandeur nature, avant même les Émirats Arabes Unis, de la persistance ou non de la communicabilité, au cœur déjà de ce que Mike Davis nomme, avec tant de justesse, « Le stade Dubaï du capitalisme », mais aussi du degré Celsius atteint, métaphoriquement et directement, lorsque s’y mêlent l’héritage du désert, le parfum des hydrocarbures et celui de l’Islam, ce que le même auteur appelle « Paradis infernaux, les villes hallucinées du néo-capitalisme ».

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En vérité, j’étais bien plus terrorisé par la possibilité de l’ennui que par celle de la décapitation. Cela ferait une belle fin pour un écrivain, ma tête sur l’autel de la littérature. Hélas, il faut se plier aux faits : je me rends dans l’un des endroits les plus sûrs du globe.
Je comprends les Cassandre. Le Moyen-Orient est un nœud géopolitique et chaque journée médiatique achemine son lot de désastres. je me trouve, à l’heure où j’écris, à dix kilomètres de la ligne de front, au-dessus de ce qui était la Syrie. À dix kilomètres d’ici s’éternise un conflit d’un nouveau genre, qui sème du venin dans les consciences, alimente les angoisses et déborde dans nos rues. Des fous furieux exaltés par leur propre barbarie abolissent l’art et exécutent des enfants qui ont commis le blasphème de regarder un match de foot. D’autres crèvent de faim et tentent de fuir cet enfer où l’islam est en guerre contre lui-même.
Dans deux heures, j’atterrirai sur une terre musulmane prospère et stable qui s’apprête à accueillir une Coupe du monde de football, où l’on dépense des milliards en toiles de maître, où l’on s’échine à construire un futur plutôt qu’à détruire le présent. On en parle beaucoup, de ces pétromonarchies du Golfe, et on n’en parle pas beaucoup en bien? Elles sont accusées, pêle-mêle, d’acheter la France, de financer le terrorisme, d’opprimer les femmes, de pratiquer l’esclavage et de s’accaparer les meilleures pièces du magasin Vuitton des Champs-Élysées. On en parle surtout de loin et j’ai envie de voir de plus près.

Qu’il tente sa chance via certains expatriés moins purement blasés que d’autres, via certains résidents arabes de Doha ou de Dubaï qui ne sont pas originaires du Golfe, via certains circuits officiels, via de rutilants motards rencontrés sur une piste improbable, tout en évitant de se faire cataloguer directement comme « journaliste », sésame évident vers bien des ennuis dans ces micro-sociétés de contrôle assumé, Julien Blanc-Gras essaie avec ferveur d’établir le contact, et de débusquer gentiment certains facteurs authentiques dans le maquis qui se presse pourtant, impavide, sous ses yeux jamais incrédules. Avec son ton bien particulier, qui côtoie selon les chapitres ou les pages aussi bien les approches historico-géographiques ancrées d’un Christian Garcin (« Ienisseï », 2014) que les enthousiasmes déplaçant les montagnes du réel d’un Guillaume Jan (« Traîne-savane », 2014), n’excluant jamais un hommage potentiel, discret, au Nicolas Bouvier de « L’usage du monde », il taille sa route personnelle pour mieux la partager avec la lectrice ou le lecteur, d’un demi-tour haut en couleurs à l’aéroport de Manama jusqu’à un raid en canot à moteur pour ravitailler une épicerie omanaise, d’un véritable séjour néo-bédouin sous la tente climatisée à une quête délicate d’un souk qui, précisément, ne le serait pas, climatisé. Et c’est ainsi qu’il réussit une fois de plus son pari et que, pour nos yeux, les clichés se solidifient ou s’effondrent – il fallait bien aller y voir, et de cette façon-là.

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L’histoire de mon pays est liée à celle du Maghreb et du Levant. L’Arabie, elle, est une contrée lointaine, projetant un imaginaire où Sinbad navigue et Lawrence cavale derrière Tintin au pays de l’or noir. Je pars donc, une nouvelle fois, avec l’ambition de me confronter à mes préjugés et à mon ignorance. j’aborde une région que je connais mal pour ne l’avoir qu’effleurée, et que je connais trop du fait de son importance politique. Ce ne sera pas facile, je sens bien que ce voyage est piégé.
Entre l’Occident sécularisé dont je suis issu et cet univers arabo-musulman, c’est la suspicion qui prime – vous avez certainement fait le même constat si vous avez consulté un journal au cours des trente dernières années.
L’incompréhension et le ressentiment triomphent, le discernement dérouille. Chacun se vit en victime de l’autre.
Personne ne sait comment sortir de l’ornière.
Je vais commencer par sortir de l’avion.

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À propos de Hugues

Un lecteur, un libraire, entre autres.

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