Amérique centrale, 1970 : à propos de voix à la radio et d’imitation de la vie, un court texte saisissant, une dictature en cours d’installation.
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– Reviens en septembre, dit le Chauve en fouillant dans le tiroir de son bureau. Je te promets un bon rôle.
Il n’arrêtait pas de fouiller dedans quand on lui parlait de travail et d’argent. Il y plongeait le nez et il n’y avait pas moyen de l’en sortir.
– Ça fait loin, insistai-je.
Il regarda ses mains. On aurait dit qu’il ne les avait pas vues depuis des années et qu’il ne savait qu’en faire.
– Les enregistrements sont suspendus.
Du tiroir sortirent les bruits les plus variés : bois contre métal, papier contre plastique, ses mains contre tout.
Nous étions en avril. Il me restait de quoi payer mon loyer et manger pendant un mois. La veille, j’avais terminé les enregistrements et reçu mon dernier chèque, plus les soixante-dix pesos d’indemnités agrafés à la lettre de félicitations du directeur.
Deux cent vingt-cinq pesos pour survivre jusqu’en septembre.
– Excuse-moi, mais le budget était trop juste, dit le Chauve.
Il eut un sourire joyeux et sortit du tiroir un nécessaire à ongles d’un rouge agressif. Il l’ouvrit, regarda à l’intérieur, caressa le contenu du bout de l’index et se décida pour un instrument qui ressemblait à un bistouri.
– Vous avez acheté un enregistrement vénézuélien, l’accusai-je. Qu’est-ce que vous leur trouvez aux Vénézuéliens ?
Il haussa les épaules et entreprit de se curer les ongles, mais comme si cela n’avait pas d’importance. Ils étaient irréguliers, semblaient taillés au couteau. Aussi propres que ceux d’une nonne cloîtrée.
– Les Vénézuéliens les envoient enregistrés et ils reviennent moins cher. Reviens en septembre.
Je lâchai une insulte et il sursauta ; c’était la première réaction incontrôlée que je lui voyais. Il me regarda comme si j’avais tiré un boulet de canon près de son oreille. La frayeur dura deux secondes. Il passa ensuite sa langue sur le bord de l’ongle qu’il venait de nettoyer et il me regarda avec un sourire qui n’avait plus rien de joyeux.
– Tu n’as rien d’ici à septembre ?
– Non.
Il haussa de nouveau les épaules et passa sa langue sur le fil de son ongle.
– Ta voix ne convient pas pour les publicités, dit-il sur un ton compatissant. Tu es trop connu. Tu es le méchant des feuilletons radiophoniques, et ça ne fait pas vendre. Tu enregistres une publicité pour Coca Cola et Coca Cola fait faillite. C’est aussi simple que ça.
Je détestais sa manière de se nettoyer les ongles (parfois il s’arrachait les poils du nez ou perçait un bouton). Je détestais sa manière de se lécher les ongles. Je détestais tout ce qui se trouvait derrière ses ongles. Je voulais partir mais ne le pouvais pas : j’avais besoin de travail ou bien les choses tourneraient mal.
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Célèbre acteur radiophonique dans le Salvador des années 1970, le narrateur est brutalement confronté à un trou d’air menaçant dans sa carrière jusqu’ici fort respectable. Pour survivre, il va accepter un job un peu particulier : prêter sa voix et les talents mimétiques qui y sont associés pour rendre un service bien rémunéré aux services spéciaux, qui ont grand besoin d’enregistrer une conférence de presse imaginaire à propos d’un enlèvement et d’un assassinat politique.
Je parle de Guadalupe Frejas parce que c’est la dernière fois que je l’ai vue. Elle est morte trois semaines plus tard, enfermée dans une cabine, devant tous les techniciens. Elle a succombé à une de ses crises alors qu’elle enregistrait une publicité pour je ne sais quelle savonnette.
La radio doit encore avoir la bande avec ses derniers spasmes. Le Chauve m’a proposé de l’écouter en privé un jour où il ne savait que faire pour faire le malin. J’ai refusé. La mort est un acte intime.
Quoi qu’il en soit, la mort de Guadalupe tomba à pic pour la radio. Le feuilleton vénézuélien était une cochonnerie, l’audience s’était cassé la figure, les lettres des auditrices inondaient le bureau du directeur et quelqu’un avait effacé par erreur quelques dizaines de chapitres. Si bien que « le regrettable décès de notre premier rôle féminin » servit de prétexte à rediffuser Le Dernier Amour, son grand succès de vingt et quelques années plus tôt, alors que je n’envisageais même pas encore de travailler dans des feuilletons radiophoniques. Cela m’ôtait tout espoir de travail avant février, c’était un des feuilletons les plus longs jamais enregistrés jusqu’alors.
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Rafael Menjivar Ochoa (1959-2011) est certainement, avec Horacio Castellanos Moya, le plus célèbre des écrivains salvadoriens de la « génération désenchantée », contrainte en grande majorité à l’exil à partir de la prise du pouvoir par l’armée en 1972 (pour ses parents, puis pour lui-même, ce fut le Nicaragua, le Costa-Rica et enfin le Mexique, dont il ne rentrera au pays qu’en 1999). Il a écrit une dizaine de romans, dont beaucoup ont été traduits en français il y a déjà quelque temps aux éditions Cénomane, avant que Quidam ne reprenne récemment le flambeau : « Le directeur n’aime pas les cadavres » (1998) est paru en 2017, et ce « Ma voix est un mensonge », publié à l’origine en 1990, déjà traduit par Thierry Davo au Cénomane en 2013, est maintenant ressorti, dans une version revue, en mars 2018.
La maison rappelait celle des contes de fées. On aurait dit une maison de poupée, et elle n’était pas beaucoup plus grande. Elle était peinte en blanc, avec une porte cintrée et, aux angles, des figures qui ressemblaient à des cornets de glace.
Au rez-de-chaussée, il n’y avait pas de fenêtres ; le premier étage était une mansarde en trompe-l’œil. Il y avait deux grands vitraux Art Nouveau.
Je passai devant en simulant une indifférence que je ne ressentais pas. Je ne pus feindre longtemps : soudain, je les vis, tous en même temps, davantage avec mon corps qu’avec mes yeux.
Ils pouvaient être dix, ou vingt, ou cinq, et ils étaient là, avec leur âme de chiens de garde et leurs mains plus rapides que le regard. On aurait dit des piétons fortuits, occupés à traverser la rue ou acheter des cigarettes. L’un d’eux sifflait en se dirigeant vers moi ; un autre, sans expression, parlait au téléphone dans la cabine au coin de la rue ; deux jeunes blonds – c’était eux aussi – écoutaient la radio à plein volume, dans une voiture de fils à papa, mais sans plaques d’immatriculation, tandis qu’un faux vendeur de polices d’assurance à domicile, avec porte-documents et tout, regardait sa montre en attendant un taxi, redoutant d’arriver en retard au plus important des rendez-vous. Il y avait un cireur de souliers, un vendeur à la porte de l’animalerie de l’autre côté de la rue, un homme aux cheveux blancs et au regard triste appuyé contre un poteau.
Dans le même cadre général radiophonique que « La tante Julia et le scribouillard », mais avec un traitement ô combien différent de celui choisi par Mario Vargas Llosa, Rafael Menjivar Ochoa déploie en moins de 150 pages une redoutable mécanique de précision obscure : évitant de ressasser des évidences, fuyant les platitudes des effets spéciaux du thriller, il développe une noirceur monumentale, abîmant ses personnages ordinaires et contraints dans les paranoïas obligatoires et les collaborations dûment forcées de la dictature en cours d’implantation, et écrit ici mieux que bien des dénonciateurs politiques officiels la réalité des pouvoirs bien décidés à ne jamais se laisser chahuter par les partageux, égalitaristes et autres sympathisants communistes – pouvoirs dont la palette argumentative, large et extra-large, ne laisse pas forcément beaucoup de recours à ses opposants comme à ses (simples) non-sympathisants. Et c’est ainsi que ce texte court à tonalité policière déploie sa grandeur paradoxale.
Ce qu’en dit Yan, sur son blog Encore du Noir, est ici.
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cela faisait un temps certain….
temps passé à travailler et écrire (oh des choses très techniques, loin d’être éditables, du moins en roman)
une très belle découverte
Natsu Miyashita est une encore jeune auteur japonaise, mais déjà deux romans et des nouvelles dont « Une forêt de laine et d’acier » (Hitsuji to tetsu) qui a gagné le Japanese Booksellers Award en 2016 et « The Playgrounds of the Gods ». Elle est née dans la province de Fukui, donc dans la grande ile du Sud du Japon. Etudes à Tokyo à la Sophia University, se marie et retourne vivre à Fukui. Elle ne commence à écrire qu’après la naissance de son troisième enfant. Une première nouvelle « Shizuka na ame» (Pluie Calme), puis un roman en 2007 « Sukōre No. 4 » (Score No 4) et une autre « Dareka ga tarina » (Quelqu’un manque) une suite de nouvelles qui a fini septième pour le Booksellers Award en 2011. Deux autres nouvelles ont fait partie de la liste restreinte pour le Naoki Prize. Il s’agit de « Taiyō no pasuta, mame no sūpu» (Pâtes de Soleil, Soupe aux Haricots) et «Inaka no shinshifuku-ten no moderu no tsuma» (La Femme du Magasin de Mode rurale pour Hommes »
« Une forêt de laine et d’acier » traduit par Mathilde Tamae-Bouhon (2018, Stock, 243 p.) narre l’histoire d’un jeune lycéen Tomura, qui accompagne Soichiro Itadori, un accordeur de piano dans son lycée et tombe sous le charme de l’instrument. Ce sera son métier par la suite, au milieu des marteaux et des étouffoirs (la partie de laine, faite souvent de mouton gras) et des cordes (la partie acier du titre). Le titre anglais est d’ailleurs « A Forest of Sheep and Steel» (Une forêt de moutons et d’acier). Parcours initiatique, sous la conduite de Yanagi, son collègue un peu plus âgé. Il ya aussi les autres employés, dont Akiro, grinçant quelquefois et souvent moqueur et mademoiselle Kitagawa, la secrétaire qui a toujours une parole réconfortante. C’est au cœur de cette société, l’entreprise Itadori que Tomura découvre la vie, la ville, lui qui est originaire de la montagne. « A présent, ajouta le patron, je te décrirais plutôt comme quelqu’un de persévérant, qui progresse pas à pas, dans une forêt de laine et d’acier ».
Parcours initiatique aussi pour ce jeune villageois qui a toujours vécu près et dans la forêt de son village. Forêt qui lui est toujours présente à l’esprit, ainsi que commence le récit. « Un parfum de forêt, à l’automne, à la tombée de la nuit. Le vent qui berçait les arbres faisait bruisser les feuilles. Un parfum de forêt, à l’heure précise où le soleil se couche ». On retrouve souvent cette image de la forêt dans le texte. Au hasard « Le timbre de Kazuné me rappelait les arbres scintillants dans la montagne ». Ou avant le concert de ce grand pianiste « Oubliée, la forêt déserte qui m’avait tant séduit la veille ; elle fourmillait à présent d’activité comme en plein été ». Et encore « Ce n’était pas un hasard si le piano avait ainsi chanté sous ses doigts. Dans la montagne, sans que je le sache, cette nuit là aussi, les arbres scintillaient au clair de lune ». Et les derniers paragraphes pour conclure « Un garçon qui avait vécu dans la montagne et grandi dans la forêt… J’en éprouvais un profond bonheur. En moi s’épanouissait une forêt ».
En plus de cette proximité avec la nature, il y a la découverte de la beauté. « Dressé au bord de la scène plongée dans les ténèbres, l’instrument prenait des allures de paysage. D’une beauté unique, il ne se mettait pourtant pas en avant. Il semblait dormir paisiblement ». Tomura le reconnaît, il a été élevé à la montagne, loin de la ville. Ignare en musique « Une étude de Chopin ? Je n’y connaissais miette en classique ». Et cette aveu « « beauté » comme « justesse » étaient des mots nouveaux pour moi. Jamais je ne m’étais préoccupé de belles choses avant de rencontrer le piano ». Mais par contre il connait le nom des arbres et des fleurs « Je connais les noms des arbres, ça s’arrête là. Ca ne sert pas à grand-chose / Dans la montagne, il était bien plus utile de savoir reconnaître les vents ou les nuages, afin de pouvoir prédire avec précision les caprices du temps ». A ce propos, une coquille bizarre dans ce livre au sujet de « « boulots » plantés en face de nous [qui] avaient bien poussé ».
En plus de cette découverte de la beauté, toujours en harmonie ave la nature « Le spectacle de la beauté continuait de m’impressionner; Je demeurais interdit devant les arbres, la montagne, le passage des saisons. C’était, je le savais à présent, ce que l’on appelait la beauté ». Il y a les deux jumelles Kazuné et Yuni, qui sont toutes deux expertes au piano, avec un jeu différent, certes. Et dont on se demande comment va se terminer le scénario du livre. Ne pas oublier que c’est un roman japonais. Et que cela se termine par « Une mélodie céleste, pleine de beauté et de vertu ».
Dans « The Playground of the Gods » (Le terrain de jeu des dieux), Natsu Miashita rappelle l’année qu’elle a passée en famille à Tomuraushi, petit village dans l’ile de Hokkaido. A signaler que le nom du village n’a rien d’étrange, c’est une partie de ce nom sous lequel on découvre Tomura, le jeune lycéen qui découvre le piano dans « Une Forêt de laine et d’acier ». C’est aussi la traduction de « village éloigné » (trou perdu pour faire plus franchouillard). Donc Tomuraushi, c’est également une montagne, au centre de l’ile de Hokkaido, qui fait partie des cent montagnes célèbres du Japon, que tout alpiniste japonais se doit d’avoir escaladé. Cette région qui fait partie du Parc National du Mont Daisetsu est en fait une région à la nature et beauté sauvage. Dans la langue des Aïnous, les ancêtres des Japonais actuels, qui peuplent Hokkaido et les Kouriles voisines, le parc et la montagne sont surnommés le terrain de jeu des dieux, d’où le titre. Un an donc comme une parenthèse dans la vie de la famille. Les enfants, 9, 12 et 15 ans, vont à l’école du village qui compte une quinzaine d’élèves. Naturellement les cours sont suivis de stages en forêt où ils apprennent la vie locale, au rythme des saisons.
Seul inconvénient de cette vie, les enfants, autochtones se connaissent tous depuis leur plus jeune âge, ce qui fait que les nouvelles relations sont difficiles à initier, ils n’en n’ont pas l’habitude. A nouveau une histoire d’initiation, mais cette fois à l’envers. La famille retournera à Fukui.
Autour de tout cela, une nature superbe, très assimilée par les habitants, et les japonais en général. Il faut reconnaître que le plus proche supermarché (ou plutôt supérette) n’est qu’à une trentaine de kilomètres de Tomuraushi. Il est vrai que cette région, encore très sauvage, est superbe, pleine de sources chaudes dues au volcanisme local. Après la ville de Asahikawa, d’où se séparent les deux grandes routes, l’une vers l’est et Kitami, et l’autre vers le Nord et Wakkanai, il n’y a plus beaucoup de villes. A Wakkanai, tout au Nord, un bon deux tiers des magasins ont leurs enseignes en russe. C’est assez dépaysant.
un Hokkaido deux Hokkaidi
(c’est le début en langue japonaise,
un peu comme en italien où l’on dit
je veux aller faire pipo aux lavabi)
Puisque j’en étais à Hokkaido, l’ile du Nord du Japon, je continue, avec un petit livre (à partir de 14 ans, ça va, je pourrai comprendre) « Dans la Forêt de Hokkaido » de Eric Pessan (2017, L’Ecole des Loisirs, 132 p.)
Julie est une adolescente d’une quinzaine d’années, qui se réveille d’un cauchemar. Un petit garçon a été abandonné par ses parents en pleine forêt, dans l’Ile de Hokkaido. Ce qui n’est pas bien. D’autant plus qu’il n’a pas dans ses poches, ni miettes de pain, ni petits cailloux blancs. Et que sous les arbres denses, le signal GPS passe mal. Dire que l’on donne cela à lire à nos jeunes adolescents…« J’ai poussé un long cri, très long, un cri terrible qui n’en finissait plus de jaillir de ma gorge, de monter dans mon ventre, de naître de ma peur, un cri qui charriait la douleur, la terreur et l’incompréhension, un cri d’impuissance aussi, comme un appel au secours, comme quelque chose qui se casse et qui ne pourra jamais se réparer ».
Dire que ce petit livre est tiré d’un fait divers réel serait peut être dire du mal des Japonais. Mais il est vrai que Yamato Tannoka, un petit garçon de 7 ans, a été abandonné par ses parents, en guise de punition, dans une forêt de Hokkaido. Petit tour en voiture, arrêt dans la forêt. « Tu descends » dit le père, Takayuki Tanooka, et la voiture redémarre. 500 mètres plus loin, remords, oubli de quelque chose, bref demi tour. Mais Yamato n’était déjà plus là. Déjà dévoré par les ours ?
Le petit Yamato survivra 6 jours durant. Malgré des battues effectuées par plus de 200 soldats, pompiers et bénévoles. Nulle trace d’ours. Il est finalement retrouvé dans un local où il a pu boire. Excuses du père « Papa t’a fait vivre des moments tellement durs. Je suis désolé ». Ce à quoi le petit Yamato répond « Tu es un bon papa, je te pardonne ». Comme quoi les histoires heureuses se terminent souvent bien.
Pour en revenir au cauchemar. « Le cri était né dans mon rêve ». Heureusement la connexion entre la fille et le garçon se passe sans perte en ligne. Pendant ce temps, les choses s’aggravent, tant au niveau de la fille que de sa famille. La file tombe malade, une fièvre gagna. « Je rêve. Je n’ai plus assez d’énergie pour pleurer. Mes cauchemars s’entremêlent aux cauchemars du monde entier ». Et cela ne s’arrange pas. « Ma fièvre est revenue, il est à peine 19 heures, papa discutent avec nos invités […]. J’ai l’impression ce soir d’avoir le cerveau en ébullition. Si tout cela a un sens, il refuse d’apparaître, il demeure flou et indistinct. Les événements me prennent sur leur dos et galopent où bon leur semble ». C’est tout un monde qui bascule dans l’irrationnel. « Nous frissonnons. La forêt est un monde de luttes invisibles, de chasses et de combats. Les animaux ne connaissent jamais la paix ».
On constate aussi que la narration a changé de personnes. Au lieu du dialogue respectif de l’une et de l’autre, la parole passe au « nous ». « Et j’ai faim, le garçon a faim, nous avons faim, une faim atroce qui nous tord le ventre ». Se greffe ensuite une histoire de trois migrants, Natnael, Ghirmay et Nahom, que le père, élu local a décidé de prendre en charge. « Les trois jeunes hommes qui cherchent visiblement à se donner une contenance appartiennent au vrai monde, celui qui souffre et dans lequel on se jette sur la poussière des chemins dans l’espoir de dénicher un peu de paix et de sécurité ». A ce niveau, l’histoire bascule à nouveau. « Ce qui est épuisant, c’est que les gens parlent sans savoir. Ils voient un étranger, ils pensent à un terroriste. Ils ne comprennent pas que certains migrants ont fui les mêmes terroristes qui nous menacent. Les gens se rassurent en mettant tout le monde dans le même sac ». ces migrants vont mêler leur histoire à celle du japonais « Je revois le visage de Ghirmay, sa douleur, je me concentre, je pense à la colère et la détermination de mon père, je respire, puis d’un coup, je tombe. Je rêve. Je n’ai plus assez d’énergie pour pleurer. Mes cauchemars s’entremêlent aux cauchemars du monde entier ».
Reste la forêt, personnage central de l’ile, comme on le constate aussi dans « La forêt de laine et d’acier » de Natsu Miyashita. « Le silence de la forêt est un vacarme feutré, tendu, qui naît de la joie des aigles autant que de la mastication des chenilles, du balancement des feuilles, comme de la brusque détente d’un prédateur vers la gorge d’une proie ». Il est vrai que c’est une partie importante de la vie sur l’ile de Hokkaido, tout comme la mer qui n’est jamais loin. Je me souviens d’avoir découvert, en face de la gare centrale de Tokyo, un magasin de produits de Hokkaido. Il y avait des oursins, ou plutôt simplement leur corail. Un véritable régal. Des thés aussi spécifiques à l’ile, beaucoup plus noirs que les thés normaux, au gout acre de goudron. Une véritable découverte, qui me faisait faire mes courses avant de reprendre le bus qui me conduisait à l’AIST de Tsukuba, à une heure au Nord-Est de Tokyo.