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Notes de lecture 2017, Nouveautés

Note de lecture : « Dans le jardin d’un hôtel » (Gabriel Josipovici)

Comment dire ? Le roman dialogué, subtil et accompli d’un musicien du langage.

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Ben vient de passer des vacances dans les Dolomites avec sa compagne Sandra, souffrante et acariâtre tout au long du séjour. Revenu à Londres, il raconte à ses amis Rick et Francesca les circonstances de la rencontre avec Liliane, dite Lily, pendant ces vacances où son couple battait visiblement de l’aile.
Lily, anglaise et marcheuse aguerrie, séjournait seule dans cet hôtel à son retour de Sienne, où elle avait retrouvé un jardin ayant joué un rôle central dans la vie de sa grand-mère, juive du Levant qui lui a transmis, entre autres, son prénom, et le souvenir d’une conversation dans ce jardin de Sienne avec un jeune violoniste juif assassiné quelques années plus tard par les nazis.

«Dans le jardin d’un hôtel», livre entièrement dialogué, s’ouvre avec la promenade des deux amis Rick et Ben, qui conversent en promenant le chien de Rick dans le quartier de Putney Hill. La conversation routinière des deux amis a plusieurs objets qui s’entremêlent, l’histoire du retour compliqué de vacances de Ben, son réveil dans l’appartement gagné par une sensation de vide, découvrant dans le silence matinal que sa compagne l’a quitté, les mouvements et l’attention portée au chien de Rick, diffusant d’emblée cette forme d’humour subtil et ironique qui imprègne les romans de Gabriel Josipovici.

«- Rien de tel qu’un voyage à l’étranger en voiture pour faire capoter un couple, dit Ben. Ou pour le cimenter, bien sûr.
– Le cimenter ? dit Robert.
– N’interromps pas, dit sa mère.
– Le cimenter ? Comme le ciment ?
– Robert, dit son père.
– Je ne sais pas pourquoi vous y êtes allés, dit Francesca. Vous vous disputiez déjà comme des poissonnières avant de partir.
– Tu sais quoi ? dit Ben, je n’ai jamais entendu des poissonnières se disputer. Mais en même temps je ne connais pas beaucoup de poissonnières.
– Comme le ciment ? dit Robert.
– Robert, dit son père.»

Ce roman paru en 1993 et traduit de l’anglais par Vanessa Guignery pour Quidam éditeur (2017), treizième œuvre de fiction de Gabriel Josipovici, est un livre d’une construction virtuose, où le personnage central de Lily n’existe que dans les récits et les voix des autres personnages, comme le compositeur Tancredo Pavone dans «Infini, l’histoire d’un moment». Le récit dialogué compose des variations d’une grande simplicité apparente, les sujets quotidiens et les questionnements profonds s’y entremêlent, les conversations se superposent comme des harmoniques littéraires et les dialogues passés se font entendre dans les conversations présentes.
Roman à mouvement d’abord rapide, le rythme du texte et des dialogues semble suivre aussi le mouvement des corps, dialogues rapides dans les ballades dans Londres, paroles ralenties et rares lorsque Ben et Lily partent pour une marche longue et épuisante d’une journée en montagne, et que les questions relatives au langage et aux mots échangés semblent s’épuiser d’elles-mêmes avec la fatigue des corps.

Lily a visité le jardin d’un hôtel à Sienne. Pourquoi ce jardin était-il important pour elle ? Ce voyage était comme une recherche à l’objet incertain, pour tenter de comprendre l’histoire de cette rencontre dans l’ombre de la Shoah et son incidence sur le présent, pour toucher du doigt l’importance du jardin à ses yeux, à moins que ce ne soit pour y construire ses propres souvenirs. Ben tente de comprendre en la questionnant sans relâche sur cette histoire et sur les raisons de sa visite au jardin d’un hôtel. Lily finit par lui raconter l’histoire car il l’écoute, mais peut-il la comprendre ? En tout cas elle le touche. Rick et Francesca entendront à leur tour cette histoire qui leur semblera énigmatique voire incompréhensible.

«- Sienne, dit-elle, est une ville rocailleuse. Située au sommet d’une colline rocailleuse. Quand le soleil brille, il n’y a d’ombre nulle part. Pas moyen d’y échapper. Comme vous le savez bien.
– Oui, dit-il.
– Mais aux abords de la ville, il y a des jardins, dit-elle. Tournés vers les collines environnantes. Il y a un hôtel à l’ouest de la ville, dit-elle, dont la façade donne sur une place rocailleuse, mais on entre et de l’autre côté tourné vers les collines, il y a un large jardin avec des arbres, des chemins et des petites allées envahies par la végétation. Il n’est pas vraiment très grand, pour un jardin, mais pour Sienne, il est immense. Et labyrinthique. On ne peut pas s’y perdre à proprement parler mais on ne peut pas l’avoir précisément en tête non plus.»

La mort d’Absalon (pavement du Duomo de Sienne)

Tant de choses se lisent et se devinent dans ces dialogues d’une apparence simple, et dans les espaces, imperfections et non-dits des phrases échangées : l’usure du couple de Ben et Sandra, l’attraction indicible de Ben pour Lily, aussi obsessionnelle qu’indécise, les limites de l’amitié et la cruauté désinvolte qu’il peut y avoir dans le regard des amis, Rick et Francesca, absorbés dans un présent routinier ordonné autour de leur famille et de leur chien.
«Dans le jardin d’un hôtel» happe le lecteur dès la première page, car il est écrit sur le flux des conversations et sur cette distance toujours fluctuante entre une réalité et une parole toutes les deux incertaines, car il apparaît combien les mots aident à structurer la réalité, comme celle de Lily qui tente en le racontant de comprendre l’importance d’un souvenir étranger et intime, car il est une méditation sur les événements et motifs qui gouvernent nos vies, illustré par le récit biblique de la mort d’Absalon, thème récurrent des rencontres entre Ben et Lily.

«- Savez-vous ce que les rabbins disent d’Absalon ? lui demanda-t-elle.
– Les rabbins ?
– Absalon se glorifiait de ses cheveux, et donc il fut pendu par les cheveux, dit-elle.
– Ah oui ?
– Vous vous souvenez qu’il coupait sa magnifique chevelure une fois par an et qu’il la pesait devant le pleuple ? Pour l’impressionner. Et pour faire pression sur son père David. Pour persuader le peuple de le suivre lui plutôt que David.
– Je n’ai jamais beaucoup lu la Bible, dit-il.
– Vous devriez, c’est plein de bonnes histoires.»

Ce qu’en dit Steven Sampson sur En attendant Nadeau est ici, Anne en parle également sur Racines ici.

Avant ou après avoir goûté au plaisir des dialogues et avoir médité longuement sur les questionnements souterrains qui traversent ce roman énigmatique, vous pourrez venir dialoguer avec Gabriel Josipovici le 26 avril prochain en soirée à la librairie Charybde.

 

À propos de Marianne

Une lectrice, une libraire, entre autres.

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