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Notes de lecture 2017

Note de lecture : « Le metteur en scène polonais » (Antoine Mouton)

«Qui peut se douter que les romans changent quand on ne les lit pas ?»

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Le directeur d’un théâtre parisien en vue, désireux de faire preuve (pour une fois) d’audace, a confié à un metteur en scène polonais célèbre la tâche de mettre en scène le roman d’un grand auteur autrichien disparu – un roman pour lequel celui-ci s’est enthousiasmé, n’en ayant lu toutefois que les dix ou vingt premières pages. Pour cette mise en scène, programmée à l’ouverture de la saison dans ce grand théâtre, le metteur en scène polonais a reçu beaucoup d’argent, et toute liberté ou presque.

Hélas, ce roman à peine entamé, s’avère à la relecture piégé, versatile et changeant. Lorsque le metteur en scène ouvre à nouveau le livre pour enfin le lire, le texte s’est transformé. À chaque nouvelle lecture il mute, et les personnages, surpuissants, semblent incontrôlables. Le metteur en scène polonais devient fou, la mise en scène chose impossible et la pièce de théâtre une débâcle annoncée.

«Il y avait eu dans la mise en scène de cette pièce qui n’était pas une pièce mais un roman, mille erreurs, faux pas, obstinations. D’ailleurs, vouloir monter cette pièce, qui était avant tout un roman et qui selon toute vraisemblance ne serait jamais une pièce, avait peut-être été l’erreur fondamentale, le début des coups de becs sur le sol, l’origine de la catastrophe. Catastrophe pour tout le monde : pour le metteur en scène polonais d’abord, en termes de carrière et de notoriété – condamnation au pain rassis, renaître poule -, pour les spectateurs s’ils venaient – mais ils viendraient, ne serait-ce que parce que le commentaire de la catastrophe était le plaisir ultime des amateurs de spectacle vivant –, et pour le grand théâtre français où se jouerait cette catastrophe, d’autant plus que c’était ce spectacle – ou plutôt cette catastrophe, mais à l’époque où la décision avait été prise, personne ne s’en était douté – qui avait été choisi pour ouvrir la saison théâtrale. Un désastre qui donnerait le ton, la note, la stridence de l’année.»

La folie joliment absurde de ce texte piégé, à moins que ce ne soit les hallucinations et obsessions du metteur en scène polonais, enflent et contaminent toutes les situations, avec une incongruité palafoxienne débordante et millimétrée qui évoque le talent d’un Éric Chevillard. La folie contamine la mise en scène et les acteurs, le comédien français si connu dont le metteur en scène polonais ne cesse d’oublier le nom et l’existence, la grande actrice française, qui d’actrice principale, est «devenue complètement secondaire, voire figurante, passant les trois quarts de la pièce allongée à plat ventre sous une fausse fourrure derrière une ruine en carton-pâte qui ressemble plus à du carton-pâte qu’à une ruine», la femme du metteur en scène polonais, à bout de nerfs, cloîtrée dans la chaleur humide de sa chambre d’hôtel parisienne donnant sur un cimetière, qui passe ses journées à lire et à boire du thé, et bien sûr le metteur en scène polonais lui-même, qui au cœur de cette folie en expansion cherche avec la dernière énergie à trouver une explication logique à cette situation insensée, à moins qu’il ne s’agisse de justifier ses propres troubles obsessionnels.

Incapable de dissiper le mystère absurde qui l’obsède, le metteur en scène polonais ne peut que partager les œufs durs dont ses poches de son manteau sont pleines avec les comédiens et avec son épouse, et s’occuper de transporter sur scène et dans les répétitions une vieille armoire appelée à jouer un rôle central dans la pièce.

Fantaisie absurde à la chute noire, ce récit jubilatoire raconté à la troisième personne, premier roman d’Antoine Mouton publié en 2015 aux éditions Christian Bourgois, s’apparente par moments au monologue intérieur du metteur en scène, comme si celui-ci tentait de se distancier de ce qui lui arrive, pour faire éclore des raisonnements rigoureux et logiques sur une situation absurde, sans succès, puisque «la mort ne changera rien», annonce-t-il d’emblée.

Anne parle très joliment sur son blog Racines ici, et Estelle Ogier sur Zone critique ici.

P.S. Toute référence à un grand auteur autrichien ayant réellement existé n’est pas que pure folie, mais sera corroborée par de nombreux indices à la lecture du texte.

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À propos de Marianne

Une lectrice, une libraire, entre autres.

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