Le mythe du snuff movie mis à nu.
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Publié en 2013 aux éditions le murmure, ce bref essai d’Antonio Dominguez Leva (à qui l’on devait déjà l’excellent « Invasion zombie » chez le même éditeur) et de Simon Laperrière prend le parti et le pari d’une féroce érudition pour remonter aux sources d’une légende urbaine qui parcourt depuis plusieurs décennies l’imaginaire occidental, celle du snuff movie.
Comme le désir dans tous ses états, la mort règne indiscutée sur le cinéma. Tel est précisément le pouvoir du cinéma : donner la mort à voir, comme le signalait Gérard Lenne dans son essai homonyme (1977). Perpétuelle et mécanique reproduction de la vie, qu’il spectralise, le cinéma est avant tout un mouvement de mort, insensible érosion où se montre la « mort au travail » (la réaction de Gorki fuyant les fantomatiques formes en mouvement à l’écran constitue en cela la scène originelle du 7ème art, caverne platonicienne d’outre-tombe). Paradoxalement, cette mort même qui le fonde, le cinéma devra tout faire pour la déjouer, en la jouant et se jouant d’elle. C’est ainsi que la mort « réelle » ne saura être montrée, tandis que la « mort jouée » triomphera sans partage sur le Mode de Représentation Institutionnel du cinéma commercial, définissant tous ses genres (car comment mieux distinguer un western d’un film d’horreur, d’un film de guerre ou de gangsters, que par la façon dont la mort y est codifiée ?) et régissant sa rhétorique du récit (car quel dénouement y a-t-il de plus définitif pour donner cohérence à un récit que le trépas ?). La mort y est soumise à des codes de représentation basés sur sa mise en spectacle par la violence kinétique et sur l’aménagement des effets qu’elle se doit de susciter (inquiétude, horreur, pathétisme, humour noir). Et dans la surenchère de son envahissement se cache, avant tout, le manque flagrant de sa présence réelle, qu’il s’agit, de fait, d’exorciser.
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Sans dévoiler la généalogie et la descendance du mythe sulfureux de l’exécution en direct, filmée et vendue (fort cher) sous le manteau, et sur son statut exact au sein de nos imaginaires contemporains contournés, ce que l’ouvrage pratique remarquablement, on notera avec plaisir, bien entendu, la formidable érudition et la redoutable technicité déployées par les auteurs, avec un seul (petit) regret toutefois : là où « Invasion zombie » avait su ne pas se limiter au seul cinéma, mais pratiquer de belles échappées, indispensables en matière de mythographie, vers la littérature, la bande dessinée et la musique, ce « Snuff movies » est resté uniquement ancré dans le 7ème art, manquant peut-être par là les formes hybrides et socio-politiquement avancées que peut prendre le motif hors de son terrain de prédilection et de naissance (et oubliant tout de même bizarrement aussi bien le curieux « Demonlover » d’Olivier Assayas que la variation intense que peut représenter ici la série des « Ring » de Hideo Nakata), comme dans – pour n’en citer que deux exemples, remarquables, en passant – le « Rafael, derniers jours » (1991) de Gregory McDonald ou le « The Execution Channel » (2007) de Ken McLeod.
Si la falsification échoue au final, elle réussit ironiquement à maintenir et nourrir une panique grandissante. Pour ces mouvements féministes pour qui l’authenticité de Snuff n’était pas un réel enjeu, le succès au box-office du film aura confirmé qu’il existait un public curieux de voir la mort en direct, « extension perversement logique de la quête pornographique de voir le plaisir, déplacée vers la douleur » (L. Williams, 1989). Le public plus large eut quant à lui désormais l’impression que les meurtres enregistrés étaient le dernier travers en date du complexe médiatique du « Entertainment USA », point d’orgue de la société de spectacle par excellence qui fait déjà la glorification de la violence à travers son cinéma populaire (pour preuve ces titres d’exportation de Snuff tels que Amerikan Kannibale) et qui était l’objet de certains mondos tels que This Is America (1977), en attendant l’extraordinaire The Killing of America de 1982. Venu du cœur de l’Empire, le snuff incarnait le retour du refoulé d’une cruauté congénitale qui resurgissait de toutes parts (les massacres d’Indiens dans le western crépusculaire, la violence hallucinante de l’Amérique profonde des rednecks dans le cinéma d’horreur, le soutien de dictatures atroces dans le film politique, etc).
Malgré le modeste regret indiqué ci-dessus, ce volume confirme tout l’intérêt que semble bien présenter, en matière de saisie des ressorts populaires de l’imaginaire occidental contemporain, cette petite collection jaune des éditions du murmure. Prochaine étape : les mystères de GTA avec Samuel Archibald.
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