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Je me souviens

Je me souviens de : « La défense Loujine » (Vladimir Nabokov)

La passion des échecs, dévoratrice du monde.

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Je me souviens d’un hiver normand il y a près de trente-cinq ans, et de ce livre de Vladimir Nabokov découvert par hasard dans la bibliothèque familiale, mon premier Nabokov.

Je me souviens que Vladimir Nabokov écrivit et publia ce roman sous un nom de plume entre les deux-guerres (en 1930) en langue russe, et qu’il fallut ensuite attendre aussi près de trente-cinq ans pour que ce roman soit enfin traduit en français.

Je me souviens de l’enfance de Loujine, de son apathie et de la cruauté des autres élèves, de la perplexité de son père écrivain envers cet enfant.

Je me souviens qu’un jour de printemps, tout l’univers s’éteignit brutalement autour de Loujine et que, «au milieu des ténèbres, il ne resta de brillamment éclairé qu’une merveille toute neuve, un îlot lumineux, sur lequel devait se concentrer désormais toute son existence» : l’échiquier.

Je me souviens de ma fascination pour cette disparition fantastique du réel, lorsque Loujine pénètre dans le monde parallèle et harmonieux des échecs, qu’il est enfin chez lui.

Je me souviens du père de Loujine disant : «Ce n’est pas pour s’amuser qu’il joue aux échecs : il célèbre un culte.»

Je me souviens de Loujine comme d’un homme coupé en deux, corpulent et morose dans le monde réel, puissant et lumineux sur l’échiquier.

Je me souviens que Vladimir Nabokov, pour raconter la vie de ce joueur prodige désespérément inadapté à la vie ordinaire, construisit son roman comme une partie d’échecs.

Je me souviens que l’obsession de Loujine pour les échecs finit par contaminer le réel, un monde déréalisé qui devient peu à peu échiquier.

Je me souviens de la rencontre entre Loujine et son rival virevoltant et imprévisible, Turati.

Je ne me souviens que très peu de Madame Loujine, essayant de sauver son mari de sa folie obsessionnelle, invisible comme une pièce hors de l’échiquier.

Après cet éblouissement, je me souviens avoir cherché et lu tous les livres de Vladimir Nabokov dans les bibliothèques familiale et municipale.

«Les nuits de Loujine étaient comme cahotantes. Bien qu’il fût gagné par le sommeil, il ne pouvait s’empêcher de penser aux échecs, et le sommeil n’avait pas accès à son cerveau, dont il cherchait en vain les entrées : à chacune d’elles se tenait en faction une figurine d’échecs, et Loujine en éprouvait une sensation extrêmement désagréable – le sommeil était là, tout près, mais il demeurait de l’autre côté de son cerveau. Il y avait en lui deux hommes, dont l’un dormait, épuisé et comme dispersé à travers la pièce, tandis que l’autre, transformé en échiquier, continuait de veiller, incapable de se fondre avec son bienheureux double.»

Les règles du jeu de la rubrique « Je me souviens » sur ce blog sont ici.

 

Vladimir Nabokov

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À propos de Marianne

Une lectrice, une libraire, entre autres.

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